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CRITIQUES DE CONCERTS |
04 octobre 2024 |
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Création de Gérard Pesson au Théâtre des Amandiers, Nanterre.
Une jeune fille et la mort
Gérard Pesson était jusqu'ici connu comme un compositeur de petites formes d'une extrême sophistication. Avec " Forever Valley " au Théâtre des Amandiers de Nanterre, il vient de montrer qu'il était capable du même souffle et de la même densité sur un opéra.
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La scène se passe dans un no man'land perché en haut de cimes enneigées, dans un village à flanc de montagne qui sera bientôt englouti sous les eaux d'un barrage en construction. Ce doit être une région frontalière car s'y côtoient des douaniers, une région d'élevage aussi car on y trouve des fermiers. Le samedi, les hommes vont au Dancing ouvert dans le village par l'entreprenante Massi. On y danse, on y boit, on peut aussi monter dans les chambres. Il y a là une jeune villageoise que l'auteur, Marie Redonnet nomme " La jeune fille ". Elle va perdre son innocence sans y prendre garde avec les douaniers. En semaine, elle occupe son temps à creuser des fosses dans le jardin du presbytère pour y découvrir " les morts ". Chez elle, " Le père " grabataire est immobilisé par la paralysie qui le gagne. Il mourra. Une fosse l'accueillera, l'église s'effondrera, un douanier mourra aussi. À partir d'un roman à la langue distanciée, au vocabulaire rare, au rythme poétique, le compositeur Gérard Pesson et le metteur en scène Frédéric Fisbach ont écrit une succession de fragments qui découpent le monologue intérieur de " La jeune fille " en autant de parcelles réfléchissant sa quête d'elle même.
Est-ce une description clinique, une psychose naissante : voici une jeune fille qui parle de sa virginité comme si son corps ne lui appartenait pas, de la mort de son père comme s'il n'était qu'un minéral, qui creuse dans le jardin pour exhumer des dépouilles ? Est-ce une allégorie poétique : la solitude, l'interrogation métaphysique sur le passé, L'indifférence, le temps qui dévore les corps et les lieux ? Ces deux lectures existent ensemble. L'esthétique de Gérard Pesson s'accorde bien de la blancheur du texte, de son refus des redondances. Il a un catalogue d'oeuvres généralement courtes, d'une extrême sophistication quant à l'écriture instrumentale. Son raffinement, son souci constant d'une allégeance aux mots sans jamais s'y superposer, part de l'idée que c'est le texte intériorisé par la conscience musicale qui est traduit par les outils du compositeur. À partir de cette soumission humble à la sonorité du sens qui émerge des mots, Pesson construit un univers où la rareté, l'inachèvement, la brisure infime séparant les mots des sons qui les portent, expriment la finitude de l'homme dans l'infini de l'univers. Son langage musical se meut dans les limites de l'audible, là où la musique balbutie, où l'instrument est essoufflé, détimbré, incapable de se supporter lui-même. Pour lui, la musique n'est rien où le texte ne passe pas. Il a une manière personnelle d'écrire pour la voix : syllabique souvent, madrigalesque parfois, simple toujours. Il mélange la voix parlée de la comédienne Judith Henry à un ensemble de sept chanteurs et de sept musiciens. Le dispositif scénique crée un espace étonnant dans la grande salle des Amandiers de Nanterre. Une réserve cependant, à ce spectacle d'une grande intelligence, manque le choeur professionnel qui aurait servi efficacement le projet de Pesson. Le raffinement de son langage était contrarié par des déséquilibres vocaux. À part cela, c'est un spectacle à voir dès maintenant tout en espérant qu'il sera repris et bonifié.
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Théâtre des Amandiers, Nanterre Le 25/04/2000 Olivier BERNAGER |
| Création de Gérard Pesson au Théâtre des Amandiers, Nanterre. | " Forever Valley "
Opéra de chambre de Gérard Pesson
Texte de Marie Redonnet
Mise en scène de Frédéric Fisbach
Avec la participation de Judith Henry (comédienne)
(le spectacle se donne jusqu'au 20 mai 2000) | |
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