












|
 |
CRITIQUES DE CONCERTS |
08 février 2025 |
 |
Nouvelles productions du Journal d'un disparu de Janáček et du Château de Barbe-Bleue de Bartók mises en scène par La Fura dels Baus et sous la direction de Gustav Kuhn à l'Opéra de Paris.
Le Palais Garnier de Barbe-Bleue
Si l'idée d'orchestrer « à la Bartók » le Journal d'un disparu de Janáček est pour le moins incongrue, sa réalisation scénique, son interprétation vocale comme celles du Château de Barbe-Bleue de Bartók, fruits du travail très cohérent de la Fura dels Baus au Palais Garnier, sont de magnifiques moments de théâtre lyrique.
|
 |
L’Or de la tech
Avec ou sans enfant ?
La grâce et le sacrifice
[ Tous les concerts ]
|
On parierait volontiers qu'il savoure la provocation comme certains un bon Havane ! Certes, Gerard Mortier est un homme de conviction qui croit profondément à la politique artistique qu'il met en place, mais il doit aussi trouver un côté jubilatoire à secouer le cocotier des habitudes lyriques parisiennes comme il le fait depuis son arrivée à l'Opéra.
En confiant aux équipes de la Fura dels Baus la réalisation de ce spectacle Janáček -Bartók, il ne pouvait ignorer multiplier les risques après le très frais accueil réservé à la Flûte enchantée vue par les mêmes créateurs. Eh bien, pari tenté, pari gagné ! Car la réussite de ce programme est totale, à une erreur près : avoir présenté le Journal d'un disparu dans une version orchestrée « en s'inspirant de l'orchestration de Bartók », avec l'étrange intention de « souligner la parenté existant entre les deux compositeur ».
Pourquoi donner du Janáček si c'est pour tenter d'en faire du Bartók ? Pourquoi ne pas avoir été jusqu'au bout du défi et ne pas avoir donné tout simplement la version traditionnelle de l'oeuvre avec un simple piano ? Encore un exemple de manque de confiance en la musique, de doute quant à son impact, même si la forme est plus pudique que celle d'un grand opéra. La question n'est alors pas de savoir si l'orchestration de Gustav Kuhn, qui dirige fort bien l'orchestre, est bonne ou mauvaise. Elle n'a tout simplement aucune raison d'être ni aucun intérêt. Inutile de tenter de la justifier par l'enchaînement des deux pièces dans un même souffle.

Cela dit, les options scéniques dépouillées à la Beckett vu par les Renaud-Barrault choisies par l'équipe de la Fura dels Baus sont intelligentes et donnent une vraie profondeur à cette partition étrange, inspirée à Janáček par des poèmes somme toute assez médiocres. Aucune tentative donc d'illustrer de manière figurative les images bucoliques ni les épisodes amoureux qui constituent l'essentiel du texte, mais une vision rude et austère, qui exprime le parcours intérieur passionné et douloureux tant du poète que du compositeur. Michael König en est l'interprète excellent à tous égards, secondé par une Hannah Esther Minutillo aux brèves mais marquantes interventions, très cinématographiques.
Univers du cinéma aussi pour le Château de Barbe-Bleue dont il faut avant tout souligner la somptueuse interprétation orchestrale par les musiciens de l'Opéra. La partition est une splendeur, foisonnante de couleurs, de rythmes, de contrastes, d'idées harmoniques surprenantes. Elle est rendue ce soir de manière magistrale, tout comme l'interprétation vocale et dramatique de Willard White et de Béatrice Uria-Monzon, chantant bravement en langue originale.
Un palais à la Cocteau
Expressifs, vrais, exacts, sans excès, sans faux pas, ils répondent avec un sens théâtral infaillible aux exigences d'une mise en scène brillamment intelligente, absolument dans l'esprit de l'oeuvre. Des rétroprojections sur des séries de rideaux transparents situent l'action dans un Palais Garnier magique, féériquement amplifié ou déformé à la Cocteau, ou dans des lieux abstraits d'une grande beauté, collant à la dynamique du drame.
Un travail beau à voir, varié, toujours en situation, propice à l'évasion poétique, effrayant comme les cauchemars de l'enfance après la lecture vespérale de certains contes de féés. Un spectacle original, nouveau, conçu, réalisé, éclairé, interprété avec une inspiration permanente, ce n'est pas si courant sur les scènes d'opéra. Si l'on n'avait pas touché à la partition de Janáček, la soirée frôlerait la perfection.
|  | |
|  |  |
|