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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Reprise du Viol de Lucrèce de Britten dans la mise en scène de Gilles Bouillon, sous la direction d' Emmanuel Trenque au Grand Théâtre de Tours.
Un viol pudique
Après la légèreté onirique de la Cenerentola, la scène du Grand Théâtre de Tours est plongée dans la tragédie de Lucrèce, offrant l'occasion d'entendre un chef-d'oeuvre encore trop rare dans des conditions idoines. Car si la direction d'Emmanuel Trenque se révèle trop univoque, la mise en scène de Gilles Bouillon dévoile le viol avec une pudeur exemplaire.
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À moins qu'il ne s'agisse d'un choix délibéré du directeur du Centre Dramatique Régional de Tours, on pourra légitimement s'étonner de ce qu'à l'exception d'une Flûte enchantée au Festival d'Orange, les talents de metteur en scène d'opéra de Gilles Bouillon restent cantonnés au Grand Théâtre de Tours, où ses productions se succèdent avec un égal bonheur. Coup d'essai, coup de maître, ce Viol de Lucrèce de Benjamin Britten créé voici neuf ans et repris aujourd'hui illustre parfaitement la vision sensible et économe, de moyens comme de gestes, que cet homme de théâtre a de l'art lyrique.
Sur un plateau pour ainsi dire nu, quelques accessoires, comme ce simple portique orangé découpé sur des parois bleus, suffisent à suggérer la variété des lieux, grâce à un jeu savant de couleurs, de tulles et d'éclairages. Et par une gestuelle minutieuse, essentielle, Gilles Bouillon restitue un hiératisme antique, d'une violence pudique, à travers de longues silhouettes blanches, que fait ressortir la présence inquiétante, annonciatrice de la catastrophe, du choeur, noire symétrie du masculin et du féminin, que Britten associe à chacun des groupes de personnages, avant l'interpénétration saisissante de moyens purement rythmiques – Tarquinius – et mélodiques – Lucretia.
La direction d'Emmanuel Trenque tend malheureusement à niveler ces contrastes, tant rythmiques que chromatiques. Plutôt que de profiter de l'intimité idéale du Grand Théâtre de Tours pour exalter la dimension chambriste de l'oeuvre, l'ensemble de treize instrumentistes issus de l'Orchestre Symphonique Région Centres-Tours joue, prisonnier d'une dynamique limitée, la carte du grand orchestre plutôt que de la basse continue, que n'est pas sans évoquer le génie des textures de Britten.
Les chanteurs déploient en conséquence une déclamation trop uniment lyrique, soucieux de son plus que de texte, et la qualité des vers de Ronald Duncan s'en trouve émoussée. Ainsi, le choeur féminin de Sophie Fournier ne peut éviter un certain prosaïsme, avec une voix insuffisamment modulée sur les consonnes. De même, Jean-Sébastien Bou projette parfois jusqu'à la vocifération son timbre naturellement insolent, mais son Tarquinius enragé de désir n'en est sans doute que plus foudroyant, alors que le Junius du prometteur Aimery Lefèvre abuse d'un mimétisme vocal par moments trop évident.
Et si le vrai beau timbre de basse du Collatinus de Jean Teitgen rassure, à l'instar du mezzo moelleux, certes un rien trop jeune pour le rôle de la nourrice Bianca, d'Anna Destraël, le soprano de Marina Lodygensky, déjà surexposé sur la même scène lors du Concert du Nouvel An dans des airs de Mozart et de Richard Strauss, se révèle insuffisamment facile et lumineux pour les agilités de Lucia.
Idéal est en revanche le Male Chorus de Michael Bennett, ténor intensément concentré dans la plus pure tradition anglaise, à la diction précise, étudiée, d'une présence tranchante. Et plus encore, malgré l'usure perceptible dans l'instabilité et une certaine décoloration du médium, la Lucretia de Marie-Thérèse Keller bouleverse par les inflexions rugueuses d'un quasi-parlando à la dynamique riche et maîtrisée.
Bien que l'esprit du premier opéra de chambre de Britten peine à trouver le chemin de la fosse du Grand Théâtre, il faut absolument voir et entendre ce Viol de Lucrèce d'une sensible pudeur, d'autant que ce chef-d'oeuvre de concentration tragique demeure une rareté.
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Grand Théâtre, Tours Le 09/02/2007 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise du Viol de Lucrèce de Britten dans la mise en scène de Gilles Bouillon, sous la direction d' Emmanuel Trenque au Grand Théâtre de Tours. | Benjamin Britten (1913-1976)
The Rape of Lucretia, opéra en deux actes (1646)
Livret de Ronald Duncan, d'après André Obey.
Orchestre Symphonique RĂ©gion Centre-Tours
direction : Emmanuel Trenque
mise en scène : Gilles Bouillon
dramaturgie : Bernard Pico
décors et costumes : Nathalie Holt
lumières : Michel Theuil
Avec :
Marie-Thérèse Keller (Lucretia), Anna Destraël (Bianca), Marina Lodygensky (Lucia), Sophie Fournier (Female Chorus), Tarquinius (Jean-Sébastien Bou), Jean Teitgen (Collatinus), Aimery Lefèvre (Junius), Michael Bennett (Male Chorus). | |
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