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CRITIQUES DE CONCERTS 20 avril 2024

Récital de Jessye Norman accompagnée au piano par Mark Markham à la salle Pleyel, Paris.

La déesse en son temple
© Marie Noelle Robert

Après sept années passées au Châtelet, conclues en apothéose par de mémorables Judith et Didon, Jessye Norman a retrouvé la salle Pleyel, temple de ses plus grands triomphes parisiens. Fidèle à sa légende, la diva américaine a offert à un public fervent un somptueux récital de mélodies françaises, transcendé par un art du dire et de la coloration inimitable.
 

Salle Pleyel, Paris
Le 30/03/2007
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Certes, Madame Norman chante souvent bas, et même d'un bout à l'autre de ses Duparc, mais ce défaut, s'il tend à s'accentuer d'année en année, est désormais bien connu. Elle s'accommode aussi, parfois, du rythme et des notes, mais a l'élégance, devenue rare, de se présenter au public sans partition. Certains pourraient même lui reprocher une sophistication excessive dans l'articulation, réminiscence d'un chant français un rien suranné, qui se délecte du sort fait à chaque mot. Mais ces menues imperfections, qui ont pu, non sans légitimité, rebuter les puristes insensibles à la singularité quasi-mystique d'une artiste hors norme, se doivent d'être d'emblée écartées.

    Car on ne vient pas à un récital de Jessye Norman pour le seul plaisir d'écouter des mélodies, mais pour adorer une icône, vénérer une idole, vouer un culte à une divinité païenne. Et c'est tout naturellement que les fidèles ont repris le chemin du temple consacré par ses débuts parisiens en 1973, la salle Pleyel. Et pour ce retour au lieu où se tinrent les grands-messes légendaires des années 1980 et 1990, la diva américaine a choisi de redire son amour pour la France, sa seconde patrie, déployant un panorama exigeant, où la sensualité de Ravel se mêle au lyrisme éperdu de Duparc comme à l'ironie de Satie, ces voix françaises qu'elle a depuis toujours défendues avec ardeur.

    Saluée par de fervents applaudissements, l'entrée en scène de la Norman est en soi un poème. Amincie, la déesse s'est humanisée, sans doute, et a retrouvé, surtout, une mobilité, une grâce, que seul son sourire, il y a trois ans à peine, laissait transparaître. Ce sourire justement, irradiant de féminité, de jeunesse même, qui atteint, happe chaque spectateur avant même qu'une seule note ait retenti dans la vastitude immaculée de la nouvelle salle Pleyel, d'ailleurs si peu propice au récital en ce que chaque toux, chaque sonnerie de téléphone – inondant sans vergogne les dernières mesures d'Asie – s'y trouvent démesurément amplifiées.

    Dès les premières notes pourtant, cette voix intacte de palette, sinon toujours d'ampleur, retrouve ses marques, et déploie les trésors de cette capiteuse sensualité qui n'est qu'à elle. Émerveillement d'une Shéhérazade ravélienne tout en couleurs fauves, dont la version pour piano seul permet de goûter avec une intensité renouvelée les inflexions ensorcelantes, jusqu'à rendre palpable le bruissement des étoffes à travers le mot amoureusement savouré, à la courbe « légèrement ployée par [une] démarche féminine et lasse
     Â» qu'une arabesque de la main vient à peine souligner.

    À Cinq mélodies populaires grecques comme variées à l'infini, d'une flamme sans cesse ravivée succède l'air de Lia, extrait de cet Enfant prodigue où un Debussy de 22 ans se découvre encore. Au cri de désespoir maternel, Jessye Norman confère une douloureuse ampleur, et pare l'ultime appel de déchirantes raucités.

    Au coeur de l'expression poétique

    Portés par le piano fusionnel de Mark Markham, ses Duparc vont plus loin encore au coeur de l'expression poétique, nourrie de cet art de la césure que de très rares chanteurs possèdent encore, et qui sans cesse fait rebondir le sens. Jamais nous n'oublierons, dans la Vie antérieure, cette fulgurante montée en puissance qui soudain se brise sur la fin du vers – C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes –, non plus que ces larmes de l'Invitation au voyage, suspendues entre souffle et timbre.

    Mais le sourire, presque celui d'une enfant, l'emporte dans des Satie regorgeant de malice, que couronne une Diva de l'Empire dont l'interprète se délecte avec une légèreté moqueuse. Des Poulenc sur le fil enfin, tout simplement prodigieux d'esprit, et infiniment tendres pour Paris, mènent à ces Chemins de l'amour qu'elle s'approprie, d'un swing inimitable.

    Croulant sous les offrandes florales – dix, quinze personnes se précipitent pour couvrir leur idole de roses, et la toucher, ne serait-ce que du bout des doigts –, la Grande Prêtresse entonne une Vocalise en forme de Habanera de Ravel aux trilles enjôleurs, s'asseyant face à un public debout pour lui murmurer un J'ai deux amours déviant irrésistiblement vers le scat, avant I Love Paris de Cole Porter en guise d'au revoir.

    Après que les applaudissements ont cessé, et que la foule a quitté les lieux, une poignée d'irréductibles scande encore le nom de la diva, mais elle ne réapparaît pas, et l'on nous prie bientôt d'évacuer la salle. Nostalgique, un admirateur de la première heure dit assez fort pour que chacun l'entende : « Autrefois, elle revenait même pour dix personnes Â». Constat du temps qui passe sur une voix, une personnalité d'une générosité légendaire, dont on attend déjà avec impatience le prochain récital le 16 mars 2008.




    Salle Pleyel, Paris
    Le 30/03/2007
    Mehdi MAHDAVI

    Récital de Jessye Norman accompagnée au piano par Mark Markham à la salle Pleyel, Paris.
    Maurice Ravel (1875-1937)
    Shéhérazade (1904)
    Cinq Mélodies populaires grecques (1906)

    Claude Debussy (1862-1918)
    Air de Lia, extrait de l'Enfant prodigue (1884)

    Henri Duparc (1848-1933)
    L'Invitation au voyage (1871)
    Chanson triste (1869)
    La Vie antérieure (1884)

    Erik Satie (1866-1925)
    Trois Mélodies de 1916
    La Diva de l'Empire (1904)

    Francis Poulenc (1899-1963)
    Voyage à Paris (1940)
    Montparnasse (1945)
    Les Chemins de l'amour (1940)

    Jessye Norman, soprano
    Mark Markham, piano

     


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