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CRITIQUES DE CONCERTS |
12 octobre 2024 |
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Era la notte, de Juliette Deschamps, avec la soprano Anna Caterina Antonacci accompagnée par le Cercle de l'Harmonie sous la direction de Julien Chauvin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Seule dans la nuit
Créé en janvier 2006 au Luxembourg, Era la notte, spectacle né de la rencontre d'Anna Caterina Antonacci et de Juliette Deschamps, fait une escale attendue à Paris. Dans un superbe écrin en clairs-obscurs, la soprano italienne met sa diction ardente au service de lamenti du Seicento, auxquels les trop vastes dimensions du TCE ne rendent malheureusement pas justice.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 04/05/2007
Mehdi MAHDAVI
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Anna Caterina Antonacci a d'abord foulé les pas d'Isabella Colbran, ce sombre soprano rossinien qui, épouse et muse du compositeur, créa Ermione, Elena de la Donna del lago, et Semiramide, longtemps confisquées par des voix plus légères. Puis elle est devenue mezzo, Dorabella plutôt que Fiordiligi, jusqu'aux contraltinos de Rosine et Angelina, avant de prêter sa voix, son tempérament, sa stature, son galbe à Poppée, Agrippine, Rodelinda, héroïnes baroques inattendues, envoûtantes.
Mais sur la scène du Châtelet, l'Italienne réussissait l'exploit de Cassandre, et Paris la sacrait assoluta. Depuis, elle se veut Falcon – et il est vrai que Rachel de la Juive lui allait, en couleur, en ampleur, en intensité de la déclamation, sinon tout à fait en tessiture, comme une seconde peau –, et demain se voit Pasta, osant Norma à Toulouse en 2009. Entre-temps, tout, loin s'en faut, ne lui a pas réussi. Ce en quoi nous l'avons entendue, en faisant donc abstraction de l'évidence scénique, nous a même révélé un instrument tendu, incertain, instable, de soudaines défaillances – son ultime Poppée parisienne, ses Nuits d'été, sa Vitellia.
Mais dans Era la notte, où elle tient seule la scène durant un peu plus d'une heure, la question de la vocalité, de ses limites donc, ne se pose pas. Car pour ce spectacle en marge des défis lancés à son instrument, Antonacci invoque ses racines linguistiques, musicales, théâtrales, poétiques, à travers ce recitar cantando qui du mot fait naître le chant.
C'est donc le mot, et non le timbre, que l'interprète colore – c'est là sans doute qu'est le secret de l'art de cette tragédienne lyrique –, et la voix parlée que l'intonation, le rythme infléchissent, amplifient, projettent. La Pazza de Pietro Antonio Giramo n'est-elle pas avant tout une performance d'actrice, où la voix, tour à tour émaciée, incendiaire, insinuante, essoufflée, acide, reflète un vertige physique que le vocabulaire gestuel de Juliette Deschamps, prolongement naturel de la basse continue, ne rend jamais redondant, factice, composé ?
Incarnation de la femme sacrifiée
Parce qu'il faut y poser, et marquer la dissonance, le Lamento d'Arianna de Monteverdi et les Lagrime de Barbara Strozzi sollicitent davantage de tenue, de retenue de la ligne. Creusant la raucité, la chanteuse cultive dans la détresse de l'abandon cette âpreté qui caractérise son timbre aux reflets nocturnes, incarnation de la femme sacrifiée sur cet autel entre eau – mer de larmes – et feu – que la mort seule éteindra de sa pluie rédemptrice – qu'est le décor en clairs-obscurs caravagesques de Cécile Degos.
Réduit pour voix seule, le Combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi aurait pu voir atténuée sa singularité formelle entre madrigal et opéra, dès lors que le dialogue entre les personnages, aussi succinct soit-il, se trouve intégré au récit du Testo. Mais en admirable diseuse, Antonacci, certes moins percutante dans le stile concitato que le ténor prescrit par la partition – un soprano ne peut prétendre à la même assise vocale dans un débit aussi rapide –, parvient à rendre cette appropriation légitime grâce à sa profonde intimité avec la langue et le texte.
Si pourtant l'intensité fait souvent défaut, c'est que dans la vastitude du Théâtre des Champs-Élysées – un peu de patience, et la salle Favart ressuscitée par Jérôme Deschamps aurait été le lieu idéal –, la distance, noyant tantôt le continuo merveilleux d'équilibre, ni décoratif, ni envahissant, mais toujours attentif, du Cercle de l'Harmonie, tantôt la chanteuse, qui se refuse à privilégier le son sur le sens, tue l'impact direct des mots, qui dès lors ne peuvent frapper le spectateur en plein coeur.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 04/05/2007 Mehdi MAHDAVI |
| Era la notte, de Juliette Deschamps, avec la soprano Anna Caterina Antonacci accompagnée par le Cercle de l'Harmonie sous la direction de Julien Chauvin au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Era la notte
Pietro Antonio Giramo (fl. 1619- après 1630)
Lamento della pazza
Claudio Monteverdi (1567-1643)
Lamento d'Arianna
Barbara Strozzi (ca. 1619-1677)
Lagrime mie
Claudio Monteverdi
Il Combattimento di Tancredi e Clorinda
Biagio Marini (1594-1663)
Pièces instrumentales
Anna Caterina Antonacci, soprano
Les solistes du Cercle de l'Harmonie
direction : Julien Chauvin
mise en scène : Juliette Deschamps
décor : Cécile Degos
costumes : Christian Lacroix
éclairages : Dominique Bruguière | |
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