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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Récital de Grace Bumbry accompagnée au piano par Alexander Schmalcz au Théâtre du Châtelet, Paris.
La leçon de Grace
En 2000, Grace Bumbry chantait le Requiem de Verdi avec une voix miraculeusement préservée, avant de mettre le Châtelet à ses pieds quelques mois plus tard avec un hommage à Lotte Lehmann. Plus que le reflet pour ainsi dire intact d'un âge d'or, son retour inespéré sur la même scène a constitué une véritable leçon de chant et de musique.
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La plupart de ceux à qui l'on a dit qu'on allait écouter Grace Bumbry nous ont renvoyé un regard dubitatif, avant cette interrogation quasi-systématique : « Elle chante encore ? » Et sans doute y a-t-il un rien de perversité, frôlant l'impudeur, à se rendre au dernier tour de piste de ces monstres sacrés d'un certain âge d'or, comme pour se réchauffer aux rayons ternis d'un soleil couchant. Le plus souvent même, c'est à la mémoire seule de raviver l'éclat d'une voix raccourcie, décharnée, instable, avant de ravaler sa souffrance pour exprimer sa gratitude à une ombre dont on ne peut s'empêcher de penser qu'elle vient de trahir sa légende, devant un public complice mais jamais tout à fait dupe.
Donc, près de cinquante ans après ses débuts en Amnéris au Palais Garnier, et dix ans après ses adieux à la scène dans sa première Clytemnestre, Grace Bumbry chante encore. Celle qui, du temps de sa splendeur, avait de la voix pour quatre, n'en a certes plus que pour deux – c'est d'ailleurs amplement suffisant, et surtout nettement supérieur, ne serait-ce qu'en qualité de timbre et en longueur de souffle, à toutes celles qui, sopranos ou mezzos, marchent sur ses traces. Triomphe de la technique, absolument infaillible, d'une chanteuse qui, si elle débutait aujourd'hui, se contenterait sans doute de se reposer sur une nature proprement phénoménale.
Au coeur de l'art de la Vénus noire de Bayreuth, première artiste de couleur à se produire sur la Colline sacrée, il y a en effet cette discipline héritée de Lotte Lehmann, l'une des égéries de Richard Strauss, qui lui a permis de conserver, pour ainsi dire intacts, un contrôle insensé de la ligne et de la dynamique, une étourdissante facilité dans les aigus, une projection parfaite du mot. Et dans ce programme exigeant, en six langues, où se côtoient tous les styles, jamais Grace Bumbry ne triche, allant jusqu'au bout de ses intentions, nourrissant le son même lorsque le bas médium se dérobe, à l'approche du passage dans le registre grave.
Air pour ténor devenu classique favori à l'instar d'Ombra mai fù, larghetto ironique métamorphosé en largo larmoyant par la postérité, Where e'er you walk, extrait de Semele de Haendel, révèle la richesse préservée du haut-médium, d'une ardeur fauve, mais sent l'effort et ne s'encombre pas de ces luxueuses nuances qui, dès le V'adoro, pupille de Cléopâtre, d'un format d'une autre époque sans pour autant déborder la sobriété stylistique, feront la richesse d'une soirée d'une bouleversante sincérité.
Nostalgie infinie et ombres veloutées
Car la concentration extrême de l'artiste, au regard souvent austère, livre un Der arme Peter de Schumann d'une vérité nue, absolue, un Spectre de la rose écorché, au souffle hésitant parfois, mais d'une nostalgie infinie. Im Treibhaus et Träume, ces études pour Tristan extraites des Wesendonklieder, tout en ombres veloutées, nous ont tiré des larmes d'extase, puis ses Rachmaninov d'une santé insolente, parsemés d'aigus suspendus, enflés puis diminués comme plus personne n'en ose, faute de savoir les faire. Les De Falla enfin, sont idéaux de couleurs, de raffinement sauvage – Polo en bis explosif, avant You can tell the world de Simon et Garfunkel, et Del cabello más sutil de Fernando J. Obradors.
Ovation sans fin, saluant la splendeur d'hier comme la magie d'aujourd'hui, d'autant plus émouvante qu'il n'y aura sans doute pas de demain, alors même que Grace Bumbry délivre une leçon de chant que la plupart de ses jeunes consoeurs devraient méditer.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 23/05/2007 Mehdi MAHDAVI |
| Récital de Grace Bumbry accompagnée au piano par Alexander Schmalcz au Théâtre du Châtelet, Paris. | Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Where e'er you walk, extrait de Semele (1744)
V'adoro, pupille, extrait de Giulio Cesare (1724)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Abendempfindung, KV 523 (1787)
Als Luise die Briefe ihres ungetreuen Liebhabers verbrannte, KV 520 (1787)
Franz Schubert (1797-1828)
Deux lieder extraits du Schwanesgesang, D 957 (1828)
Liebesbotschaft
Die Taubenpost
Robert Schumann (1810-1856)
Der arme Peter, op. 53 n° 3 (1840)
Hector Berlioz (1803-1869)
Deux mélodies extraites des Nuits d'été, op. 7
Le Spectre de la rose (1840)
L'ĂŽle inconnue (1841)
Richard Wagner (1813-1883)
Deux lieder extraits des Wesendonklieder
Im Treibhaus (1858)
Träume (1857)
Serge Rachmaninov (1873-1943)
Oh, ne me chante plus, ma belle, op. 4 n° 4 (1893)
Que c'est beau ici, op. 21 n° 7 (1902)
Manuel de Falla (1876-1946)
Deux mélodies extraites des Siete canciones populares españolas (1914-1915)
Asturiana
Jota
Grace Bumbry, soprano
Alexander Schmalcz, piano | |
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