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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Un bal masqué de Verdi mise en scène par Gilbert Deflo et sous la direction de Semyon Bychkov à l'Opéra de Paris.
Le bal de Tézier
Elena Manistina (Ulrica) et Angela Brown (Amelia).
Privé de ténor en raison du forfait de Marcelo Alvarez et de l'enrouement de son remplaçant Evan Bowers, ce nouveau Bal masqué de l'Opéra de Paris aura été celui du baryton Ludovic Tézier, maître incontestable d'un plateau vocal très inégal du côté féminin, dans la mise en scène souvent spectaculaire de Gilbert Deflo.
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Marcelo Alvarez malade ne pouvant assurer la première représentation, l'Opéra de Paris a fait appel à Evan Bowers qui, malade lui aussi, permit au spectacle d'avoir lieu sans pour autant parvenir à exister vraiment au niveau nécessaire dans un ouvrage aussi lourd pour le ténor. N'accablons pas un artiste qui a le courage de se présenter au-dessous de ses moyens, lesquels, il faut quand même le dire, n'ont rien à voir avec la splendeur de ceux d'Alvarez
quand il chante.
Bowers parvient tout de même à camper un Riccardo très vivant, que son excès d'indulgence et sa bonté finissent par rendre totalement irresponsable comme gouvernant et dont le comportement trop léger entraîne tout son entourage à la catastrophe. Reste qu'Un bal masqué presque sans ténor n'est guère facile à défendre.
Pour vraiment sauver la soirée, il aurait fallu une Amelia de haut vol, qui apporte cet élément d'émotion vocal indispensable aux grands opéras. La jeune Américaine Angela Brown a certes une jolie voix aux aigus faciles et séduisants, mais au médium et au bas-médium instables, voire tremblotants. Ce défaut peut-il être corrigé ? L'avenir le dira, mais, dans l'état actuel de sa technique, elle n'est pas encore une Amelia du niveau requis et ne pouvait donc contrebalancer les déficiences de son Riccardo. En outre, elle a plus un comportement scénique de soubrette effarouchée un peu encombrée de ses crinolines que celui d'une grande dame dont l'honneur, la vertu et même la vie sont en jeu.
Déguisée en Jessye Norman pour incarner Ulrica, la mezzo russe Elena Manistina chante très fort dans le haut-médium, avec un grave trop brouillon et instable pour ne pas être autre chose que désagréable à entendre, malgré la théâtralité de la scène de vaudou que Deflo lui fait présider.
Reste fort heureusement l'Oscar excellent à tous égards de Camilla Tilling, la belle présence des seconds rôles, des choeurs menés avec rigueur et efficacité par Peter Burian, et surtout, l'implacable leçon de chant donnée par Ludovic Tézier en Renato. Voix parfaitement adéquate, bien en place, musicale, conduite avec intelligence, plus présent dramatiquement qu'il ne le fut souvent, le baryton est la consolation lyrique de la soirée. Dommage que l'on n'ait pas réuni autour de lui une distribution de même niveau, car, même si le magnifique Alvarez avait été présent, un sérieux déséquilibre aurait subsisté du côté des dames.
Pour ses débuts dans la fosse de l'Opéra, Semyon Bychkov ne démérite pas, sans pour autant créer la sensation. Direction tonique, claire, sans choix de tempi inattendus, établissant un équilibre bien pensé avec le plateau, il n'apporte pas lui non plus cette touche de lumière ni d'inspiration qui aurait pu hisser le spectacle vers les sommets que l'on est en droit d'attendre dans ce lieu.
Une mise en scène souvent figée
Il faut enfin évoquer la mise en scène de Gilbert Deflo. Dans des décors de William Orlandi souvent impressionnants par leur taille comme par leur symbolique funèbre ou démonique, il situe l'action à l'époque où la partition vit le jour. Dans un univers blanc et noir, souvent figé par le côté marmoréen des monuments ou des structures créant un climat hostile, angoissant, mortifère, il met en place ses personnages de façon très traditionnelle, les faisant chanter le plus souvent à la rampe, dans une gestuelle mélodramatique basique.
Le tableau d'Ulrica et celui du bal sont les plus réussis, les autres figent un peu l'action, mais l'ensemble a de l'allure, de la tenue, et meuble l'ample espace du plateau dans toutes ses dimensions, ce qui n‘est pas si courant. De quoi rassurer les foules affolées par les hardiesses de la plupart des autres productions vues à l'Opéra de Paris ces derniers temps, mais dont l'originalité brillante et parfois même le génie n'en ressortent que mieux. On attend avec d'autant plus d'intérêt la Traviata selon Marthaler !
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Alvarez rentre dans la danse
Certains n'y croyaient plus. Et pourtant, après avoir ajouté son nom à la liste des ténors stars s'étant fait porter pâle pour leur première à la suite de Ramón Vargas dans Idomeneo et Rolando Villazón dans les Contes d'Hoffmann, Marcelo Alvarez est de retour sur la scène de l'Opéra Bastille, et offre à cette nouvelle production du Bal masqué l'équilibre qui lui faisait défaut.
Couronnant d'aigus insolents une ligne dont le métal ensoleillé sait se parer d'ombres veloutées, le ténor argentin possède en effet comme nul autre depuis Bergonzi et Pavarotti cet alliage rare de slancio et de morbidezza qui seul permet de refléter la versatilité de Riccardo, de la railleuse légèreté de Ogni cura si doni al diletto et È scherzo od è follia aux accents spinti de Ma se m'é forza perderti.
Le Renato de Ludovic Tézier n'est pas en reste pour autant. Car si les aigus du baryton français n'ont pas, encore, ce métal qui fait les verdiens authentiques, le modelé de la pâte vocale, le contrôle de l'émission, la tenue de la ligne, et le mordant de la diction le classent parmi les meilleurs titulaires d'un rôle singulièrement peu expansif.
Sans rompre avec la tradition des Oscar à cocottes, le soprano florissant de Camilla Tilling donne au page une consistance inhabituelle, tandis que l'Ulrica d'Elena Manistina tente de s'inscrire dans le sillage des mezzos russes aux graves telluriques en jouant les ogresses, mais s'embourbe dans les inégalités de registres d'une voix non exempte de stridences.
Quant à Angela Brown, son Amelia ne tient pas les promesses d'un Libera me somptueusement suspendu sous les orgues de la Basilique de Saint-Denis dans le Requiem dirigé l'an passé par Myung-Whun Chung, à moins que l'atmosphère du lieu ne nous ait alors envoûtés, ou que la forte réverbération de son acoustique ne nous ait illusionnés.
Le format de l'instrument est toujours imposant – ce qui, dans un rôle aussi large, n'est pas négligeable –, et le timbre opulent, mais l'ut qui survolait glorieusement la masse chorale n'est plus qu'un souvenir aigrelet, et la ligne chaotique, imprécise – les appoggiatures de l'entrée immanquablement savonnées –, est d'une indéfendable placidité.
À défaut de colonne vertébrale, la direction de Semyon Bychkov impose ses fulgurances dramatiques – un tirage au sort haletant –, et plus encore sonores – les déflagrations dans l'antre de la magicienne, les textures inouïes, étirées, quasi parsifaliennes de l'introduction du gibet. Et la production en forme de veillée funèbre de Gilbert Deflo est de celles qui, par leur statisme inoffensif, s'installent durablement au répertoire.
Mehdi MAHDAVI
Opéra Bastille, Paris, 25/06/2007
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Opéra Bastille, Paris Le 04/06/2007 Gérard MANNONI |
| Nouvelle production d'Un bal masqué de Verdi mise en scène par Gilbert Deflo et sous la direction de Semyon Bychkov à l'Opéra de Paris. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Un ballo in maschera, melodramma en trois actes (1859)
Livret d'Antonio Somma d'après Gustave III ou le bal masqué d'Eugène Scribe
Choeur et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Semyon Bychkov
mise en scène : Gilbert Deflo
décors et costumes : William Orlandi
éclairages : Joël Hourbeigt
préparation des choeurs : Peter Burian
Avec :
Evan Bowers (Riccardo), Ludovic Tézier (Renato), Angela Brown (Amelia), Elena Manistina (Ulrica), Camilla Tilling (Oscar), Jean-Luc Ballestra (Silvano), Michail Schelomianski (Sam), Scott Wilde (Tom), Pascal Meslé (Giudice), Nicolas Marie (Servo d'Amelia). | |
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