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CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
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Concerts de l'Orchestre Symphonique de Chicago sous la direction de Riccardo Muti à la salle Pleyel, Paris.
Muti en démonstration
À la tête du somptueux Chicago Symphony, Riccardo Muti, en deux concerts à la salle Pleyel, impressionne plus qu'il n'émeut, en privilégiant le luxe et la volupté au détriment de cette liberté interprétative dont il sait pourtant faire preuve à l'opéra. Deux soirées de magnifique démonstration orchestrale, un peu en rade de drame.
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Depuis son départ de la Scala de Milan – dont il fut directeur musical de 1986 à 2005 – Riccardo Muti, en tant que chef invité, choisit désormais avec économie ses apparitions face à des orchestres triés sur le volet : Philharmonies de Berlin et Vienne, Orchestre de la Radio bavaroise, New York Philharmonic, National de France
En deux soirées avec le légendaire Orchestre Symphonique de Chicago, bien renouvelé depuis l'ère Solti, il confirme – ce qui n'étonnera personne – que son répertoire est immense et éclectique. Regard de braise, cheveux de jais, autorité naturelle un rien hautaine, au fil des années, le chef italien n'a pas perdu son image de maestro charismatique.
Dans la Symphonie Pathétique de Tchaïkovski – l'une de ses oeuvres favorites, déjà donnée en avril 2003 à Paris avec le National –, il manifeste toujours la même maîtrise : attention à la ligne vocale, clarté des plans sonores... La dimension esthétique l'emporte pourtant sur le caractère dramatique de cette partition à la tonalité tragique. Face à une interprétation plus lisse qu'aiguisée (Allegro molto vivace), on admire avant tout la qualité de la facture instrumentale, qui n'est pourtant pas toujours parfaite. Il faudra chercher ailleurs cette tension inexorable que d'autres ont su transmettre – Mravinski, Svletanov, Jansons.
Après l'entracte, la Suite d'orchestre composée par Hindemith d'après son ballet Nobilissima visione inspiré par les fresques de Giotto à Assise, montre des accents et un caractère solaire qui conviennent mieux à l'esprit méditerranéen du chef, servi par un orchestre aux cuivres dominateurs.
Le même geste assuré trouve, dans le Poème de l'extase de Scriabine, matière à s'exprimer : chatoiement des couleurs, irisations, volutes sonores, souplesse dans cette alternance de flux et de reflux qui se conclut crescendo sur un accord impressionnant d'ut majeur. Muti y atteint un embrasement éloigné de la violence primitive que son raffinement lui interdit. Pour calmer le jeu, en bis, l'extrait de Rosamonde de Schubert donne la preuve que l'Orchestre Symphonique de Chicago n'est pas seulement une machine, mais aussi un instrument capable, l'espace d'un instant, de tendresse et de lyrisme.
Changement de décor le lendemain avec un programme tourné vers l'Espagne dont seule la 3e symphonie de Prokofiev – inspirée de l'opéra l'Ange de feu – s'écarte délibérément. Créée à Paris salle Pleyel justement sous la direction de Pierre Monteux, cette partition si rare au concert est d'une puissance visionnaire où le néo-classicisme voisine avec l'expressionnisme. La lecture de Muti est impressionnante, mais plus massive que violente et sans cette folie et ce sentiment de possession qui est l'argument de l'oeuvre.
Avec la 2e suite du Tricorne de De Falla, l'efficacité est encore de mise, mais le duende s'évanouit dans cette version éclatante, plus brillante que vécue. Le démonstration là encore prévaut sur l'émotion et sur la saveur ibérique qui prend des allures hollywoodiennes.
À la surface des notes
La féerie ravélienne de la Rapsodie espagnole n'est pas non plus que volupté et sensualité. Le mystère (Prélude à la nuit), la rêverie (Habanera), un « je ne sais quoi » impalpable restent à la surface des notes malgré la Feria finale qui a de l'énergie à revendre. Le Boléro, immuable, ne décolle pas plus sous cette direction plus extérieure qu'animée où les instrumentistes de Chicago font toutefois des merveilles de prestidigitation – bien que le redoutable solo de trombone arrive même à tétaniser le soliste de l'orchestre !
Le chef italien, qui jusqu'à présent ne semblait pas avoir pris de risques, se retrouve parler sa langue maternelle au moment du bis : une ouverture de la Force du destin de Verdi emportée, enthousiasmante, qui fait surgir enfin le drame.
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Salle Pleyel, Paris Le 03/10/2007 Michel LE NAOUR |
| Concerts de l'Orchestre Symphonique de Chicago sous la direction de Riccardo Muti à la salle Pleyel, Paris. | 2 octobre :
Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n° 6 en si mineur op. 74 « Pathétique » (1893)
Paul Hindemith (1895-1963)
Nobilissima visione, suite d'orchestre (1938)
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Poème de l'extase op. 54 (1907)
3 octobre :
Serge Prokofiev (1891-1953)
Symphonie n° 3 en ut mineur op. 44 (1929)
Manuel De Falla (1876-1946)
El sombrero de tres picos, suite n° 2 (1918-1921)
Maurice Ravel (1875-1937)
Rapsodie espagnole (1908)
Boléro (1928)
Chicago Symphony Orchestra
direction : Riccardo Muti | |
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