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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 septembre 2024 |
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Reprise d'Alcina de Haendel dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Jean-Christophe Spinosi à l'Opéra de Paris.
Une Alcina désenchantée
Parmi les mises en scène réalisées à l'Opéra de Paris par Robert Carsen, cette Alcina est sans doute la plus discutable. D'autant qu'en la réduisant à sa seule direction d'acteurs, la grève des techniciens – désormais terminée – en soulignait le caractère boulevardier. En dépit des débuts approximatifs de l'Ensemble Matheus dans la fosse de Garnier, la distribution réserve de beaux moments.
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Lorsque Robert Carsen assurait les productions haute couture de l'Opéra de Paris, Hugues Gall avait fait de Renée Fleming sa glamoureuse égérie. Et sans doute est-ce la soprano américaine qui lui inspira cette Alcina grande bourgeoise traînant son ennui langoureux parmi une myriade d'éphèbes plus ou moins nus dans une enfilade d'appartements immaculés, sans magie ni fureur. La personnalité de Natalie Dessay n'était certainement pas non plus étrangère à la métamorphose de Morgana, soeur d'Alcina, en soubrette nymphomane, minijupe et talons aiguilles.
L'appropriation semblerait réductrice si elle n'était rééchantée par la révélation d'infinies perspectives ouvrant sur un jardin luxuriant, et d'ensorcelants jeux d'ombres. Mais lorsque la grève s'en mêle, et que la mise en scène se trouve privée de ces effets, et réduite à sa seule direction d'acteurs, le masque d'habile décorateur de Carsen tombe : ne reste plus qu'un vaudeville bien ordinaire, querelles de domestiques et imbroglios amoureux, que l'inévitable suicide final teinte de tragédie, en un détournement arbitraire de la partition rendu obligatoire par souci de crédibilité dramaturgique. En somme, rien de neuf sur le théâtre.
Le désenchantement gagne aussi la fosse, où officie la baguette bien peu magique de Jean-Christophe Spinosi – le chef français se démène pourtant, s'octroyant l'obbligato de violon de l'air Ama, sospira, jusqu'à obtenir un beau succès personnel. Car enfin, l'absence récurrente de pulsation met en danger le plateau comme l'orchestre, qui va jusqu'à s'interrompre à une ou deux reprises, la dynamique reprend la recette qui fit la gloire de l'ensemble Matheus dans Vivaldi – introductions nerveuses, forte, accompagnements pianissimo, à la limite de l'inaudible, et d'une cohésion toute relative. Et puis ces accents arbitraires dès l'ouverture, ces basses rachitiques, ce théorbe en roue libre – est-ce vraiment le fait de l'enthousiasme, de la fraîcheur ?
Au plateau donc, de sauver la mise. Rescapée de la précédente reprise, dont elle n'était pas l'élément le moins discutable, Vesselina Kasarova fait un Ruggerio aussi inégal que ces registres entre lesquels elle ne cesse de jongler, et qui ne semblent pas sortir d'un seul et même gosier tant ces graves pachydermiques contredisent ce médium et ces aigus concentrés et lumineux, indurés les soirs de petite forme. Reste que la manière assez irrésistiblement ludique avec laquelle la mezzo bulgare sculpte les sons s'accorde parfaitement aux fanfaronnades que sont les deux premières airs de Ruggiero, que l'agilité peut être encore électrisante, et la ligne de Mi lusinga il dolce affetto tisse sa dentelle cousue de fils d'or entre deux sauts chaotiques.
Succédant à l'Alcina d'Emma Bell pour les cinq dernières représentations, Inga Kalna en est l'exact antagoniste. Autant la soprano britannique exhibait, non sans force dramatique, les opalescences d'une voix naturellement ample et longue mais insuffisamment ductile, autant la lettone déploie un art constamment varié de la rhétorique expressive et ornementale, d'une voix pas toujours égale – le tranchant de l'aigu ne révèle-t-il pas la véritable nature de la magicienne –, mais infiniment colorée.
Pulpeuse et agile, lumineuse et corsée, et de phrasés si délicieusement conduits, Olga Pasichnyk est une Morgana de rêve. Peut-être moins à l'aise qu'à Poissy avec Alan Curtis, et la colorature toujours gargarisante, Sonia Prina n'en trouve pas moins en Bradamante l'un de ses meilleurs rôles. Et pour compléter, trois jeunes français prometteurs: un Oberto – Judith Gauthier – suffisamment boyish, avec ce que cela peut sous-entendre de verdeur, un Oronte – Xavier Mas – au timbre si duveteux que la vocalise s'y nivelle à force de legato, et un Melisso – François Lis – autoritaire de timbre dans les récitatifs, mais trop raide encore pour Pensa a chi geme.
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