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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Version de concert de Don Giovanni de Mozart avec la troupe-atelier lyrique d'Opera Fuoco sous la direction de David Stern au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Une troupe est née
Jacquelyn Wagner
Passionné par le rapport entre texte et musique, et toujours à l'affût de jeunes talents, David Stern a décidé de fonder en association avec son ensemble Opera Fuoco une troupe-atelier lyrique au fonctionnement inédit. En plaçant la barre très haut, le Don Giovanni inaugural permet de mesurer le chemin que doivent encore parcourir les jeunes chanteurs engagés dans l'aventure.
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Théâtre national, Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 26/01/2008
Mehdi MAHDAVI
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Qui ne s'est pas insurgé contre la disparition progressive, inéluctable des troupes des théâtres lyriques français, lui imputant tous les maux d'une école de chant nationale dont quelques étoiles ne sauraient dissimuler les carences. Bien sûr, les ateliers lyriques et autres opéra-studios alimentent en seconds rôles les grandes maisons qui les abritent, tandis que certains directeurs font de fidélité vertu, permettant aux chanteurs qu'ils affectionnent d'oser des prises de rôles importantes, voire périlleuses dans des conditions idoines. Mais l'Allemagne et la Suisse demeurent les destinations privilégiées des jeunes talents qui souhaitent s'immerger dans la dure réalité du métier.
Directeur musical de l'Académie européenne de musique d'Aix-en-Provence durant ses deux premières années d'existence, puis associé à la Fondation Royaumont pour un projet autour de la Finta Giardiniera, et récemment nommé directeur musical de l'Opéra de Saint-Gall, où il prendra ses fonctions en septembre prochain, David Stern a toujours eu à coeur d'accompagner les jeunes talents dans leur accomplissement. Avec le concours de son ensemble Opera Fuoco en résidence au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines et la complicité du violiste Jay Bernfeld, le chef américain préfère agir plutôt que de lamenter, et vient de se lancer dans une aventure inédite, compromis entre la troupe et l'atelier lyrique.
Composée de quatre chanteurs, chaque promotion sera encadrée durant trois ans, à raison de trois projets par an déterminés selon les moyens vocaux de chacun, auxquels seront ponctuellement associés des artistes plus expérimentés invités à affûter leur approche dramatique de la musique. Sans doute le concert inaugural ne reflète-t-il pas tout à fait l'esprit de cette troupe d'un genre nouveau, d'autant que le choix d'un opéra du Mozart de la maturité, et Don Giovanni en particulier, place d'emblée la barre très haut. Mais David Stern a assurément les moyens de ses ambitions, et sa lecture emporte l'adhésion.
Malgré la suppression du lieto fine obligé, dont le Presto réapparaît malicieusement en bis, l'approche n'a rien de radical : l'emploi des instruments d'époque vise avant tout à revivifier la palette dynamique et chromatique quand la musique se doit de servir un théâtre dont l'orchestre se révèle le principal protagoniste – et Opera Fuoco, d'abord chétif, ne cesse de s'étoffer, s'arrondir sans s'alourdir au fil de la partition. Et si les tempi ne s'enchaînent pas avec l'implacable logique qu'y imprime un René Jacobs faisant fi des traditions – le finale du premier acte est déstabilisé par quelques coups de frein –, un souffle vivifiant parcourt l'opéra de la première à la dernière note, de même qu'une intelligence aiguë de l'accentuation de la phrase musicale qui ne cesse de prendre l'auditeur par surprise.
Techniques encore inabouties
Les chanteurs n'ont dès lors qu'à se laisser enflammer, tant dans les récitatifs que dans les airs, mais doivent pour certains composer avec des techniques encore inabouties. Admise en « pré-troupe », Lauren Libaw prête ses 20 ans, son adorable minois et son non moins adorable soprano à Zerlina, mais se révèle assez vite surexposée, tandis que le matériau brut dont dispose Frédéric Bourreau demande à être plus finement sculpté s'il veut être un Commandeur. Brian Stucki vocalise avec une fluidité qui lui permet de varier fort joliment la reprise d'Il mio tesoro, mais son ténor se trouve démuni au-delà du fa.
Seule membre à part entière de la troupe-atelier avec le Masetto de Pierrick Boisseau, Chantal Santon met beaucoup d'application à déployer des moyens assurément prometteurs, mais le timbre manque encore de vernis, et sa Donna Elvira apparaît plus prudente qu'intériorisée. Comique né dans la mesure où il se démène sans jamais sombrer dans la caricature, Philip Horst campe un Leporello d'un métier déjà indéniable, au timbre bourru, mais souvent sourd. Sourire carnassier, profil d'aigle, silhouette longiligne, projection insolente, diction mordante, le déjà reconnu François Lis a tout pour devenir un grand Don Giovanni s'il parachève la cure de jouvence d'une émission désespérément engorgée il y a peu de temps encore, et qui le fait trébucher sur la demi-teinte de la sérénade.
Accueillie au sein de la troupe de la Deutsche Oper de Berlin, où elle a entre autres interprété Pamina et la Comtesse Almaviva, déjà Fiordiligi à Marseille et Genève, Jacquelyn Wagner est l'incontestable révélation de la soirée, Donna Anna comme il s'en entend rarement d'une telle sûreté technique, d'une musicalité aussi sobre qu'épanouie, et d'une présence naturelle, forte qui nous rend d'autant plus impatient de la retrouver en janvier 2009 dans la version scénique de ce Don Giovanni, dont David Stern a confié la réalisation à Yoshi Oïda.
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