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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Des Canyons aux étoiles de Messiaen par l'Ensemble Intercontemporain sous la direction de Susanna Mälkki à la Cité de la musique, Paris.
Messiaen, sans aucun doute
Deuxième temps fort de l'année Messiaen qui fête le centenaire de la naissance du compositeur-ornithologue le plus célèbre du monde, l'exécution des étourdissants Canyons aux étoiles par l'Ensemble Intercontemporain dirigé par Susanna Malkki permet de suivre l'évolution radicale d'un créateur incontestablement touché par le génie.
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Non, Des canyons aux étoiles n'est pas le nom de la nouvelle attraction du Disneyland de Marne-la-Vallée mais bien celui d'une oeuvre de Messiaen pour un orchestre de 43 musiciens qui date de 1974. Écrite en hommage aux montagnes de l'Ouest américain – dont une sera rebaptisée Mount Messiaen –, elle fait voyager en une heure et demie du désert aux roches rouges-orangées du Colorado, puis des grands parcs naturels au chant de l'étoile Aldébaran. À vrai dire, ce n'est pas cette sorte de Guide du routard express et extraterrestre qui interpelle le plus l'esprit mais plutôt le fait que rarement sonorités aussi invraisemblablement exotiques, enchaînements de timbres aussi inattendus auront résonné dans une salle de concert !
On connaît le mot cinglant de Boulez : « Messiaen ne compose pas, il juxtapose ». Eh bien, il semblerait que ce soit justement cela qui frappe nos oreilles d'aujourd'hui et qui fasse, si l'on ne souhaite pas employer le mot « modernité », son actualité.
Messiaen tranche en effet dans les timbres de son instrumentarium – qui comprend notamment une machine à sable et de nombreuses percussions – : ainsi, un déluge de sonorités très courtes, qui se heurtent, se hèlent, s'opposent, ravissent dans une étonnante géographie du son. Car assis sur sa chaise de concert, on est comme au spectacle : tenu sur la crête du silence, le son apparaît avec persuasion, s'étire comme un corps vivant dans les différents groupes, donne en un regard des sensations de profondeur, notamment dans les tutti, puis de rétrécissement, enfin rebondit dans des descentes et des montées qui gravissent, s'élèvent et soudain s'effondrent inachevées.
Il faut tout l'engagement de la merveilleuse Susanna Mälkki pour lancer entre les silences ces brusques blocs de musique, qui se frayent et se rencontrent parfois dans des unissons d'une déchirante tendresse. Il faut également toute l'asphyxiante beauté sonore de l'Ensemble Intercontemporain – quel autre ensemble français dégage, toutes musiques confondues, une telle assurance, jusqu'à la solennité parfois, et parvient à une telle pureté d'attaques, perçantes comme un cri ? – pour lier ces sursauts instantanés qui inventent un autre successivité musicale.
Des canyons aux étoiles permet de suivre l'évolution de Messiaen après les pièces des années 1940, le Quatuor pour la fin du temps, la Turangalila-Symphonie qui l'ont rendu célèbre dans le monde entier. On lui a reproché dans le huitième mouvement de l'oeuvre – qui en compte douze –, Les ressuscités et le chant de l'étoile Aldébaran, d'avoir essayé de reproduire l'hypnotique Jardin du sommeil d'amour de la Turangalila, au détail près que Messiaen y introduit ici ostensiblement des plages de silence qui dramatisent cette constellation de sons d'une infinie douceur.
De même, combien paraissent loin les Vingt regards sur l'enfant Jésus dans ces cadences pour piano où l'on entend que des chants d'oiseaux, tels le Moqueur polyglotte ou le Cossyphe d'Heuglin, et combien malgré le piano scintillant d'Hideki Nagano, celles-ci sont fastidieuses à écouter ! Car dans ce Messiaen tardif – l'ultime, celui des Éclairs sur l'au-delà , reviendra au continu et à la simplicité –, chaque pièce soliste se fait soliloque, l'instant ne peut y apparaître.
L'Appel interstellaire, pour cor seul, merveilleusement joué par Jean-Christophe Vervoitte, devient ainsi appel à l'aide, hurlement de solitude. La musique de Messiaen a besoin de l'autre, elle souffre d'être seule, elle a besoin de se heurter, à Dieu, ou disons à l'altérité en général. Et quand des groupes orchestraux se rencontrent soudain, se nouent dans un ahurissant alliage sonore, jusqu'à parvenir à l'osmose, elle bouleverse alors comme très peu de musiques.
D'un orchestre, Messiaen en heurte les timbres, les prépare à la rencontre pour les réconcilier et les unir jusque dans leurs différences. C'est en cela qu'il est un compositeur religieux, au sens étymologique.
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Cité de la Musique, Paris Le 31/01/2008 Laurent VILAREM |
| Des Canyons aux étoiles de Messiaen par l'Ensemble Intercontemporain sous la direction de Susanna Mälkki à la Cité de la musique, Paris. | Olivier Messiaen (1908-1992)
Des canyons aux Ă©toiles
Jean-Christophe Vervoitte, cor
Samuel Favre, xylophone
Michel Cerutti, glockenspiel
Hideki Nagano, piano
Ensemble Intercontemporain
direction : Susanna Mälkki | |
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