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CRITIQUES DE CONCERTS |
17 septembre 2024 |
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Nouvelle production d’Armida de Haydn mise en scène par Gilles Bouillon et sous la direction de Jean-Yves Ossonce au Grand Théâtre de Tours.
Armida, ou la déchirure
Daniela Bruera (Armida) et Xavier Mas (Rinaldo)
Pour l’ouverture de la saison du bicentenaire de la mort de Haydn, l’Opéra de Tours, qui vient d’obtenir le prix Claude Rostand du Syndicat de la critique pour le Pays de Ropartz, a fait l’audacieux pari de la très rare Armida, assurément moins propices au théâtre que ses opéras bouffes. Une réussite dramaturgique et esthétique plutôt que vocale et stylistique.
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Si l’Armida de Joseph Haydn a connu ces dernières années un certain regain d’intérêt, comme en témoignent la gravure de Nikolaus Harnoncourt avec Cecilia Bartoli dans le rôle-titre et la nouvelle production de l’avant-dernière édition du festival de Salzbourg, elle n’en demeure pas moins une rareté.
Sans doute parce que le premier opera seria du compositeur des Esterházy – qui sera aussi le dernier créé de son vivant –, marquant sa conversion tardive au genre, manque de ressort dramatique, et ce malgré une volonté de continuité qui voit les récitatifs secs réduits à la portion congrue. La musique même y est d’un intérêt constant, mais lui fait assurément défaut ce génie de la caractérisation qu’avait Mozart, et sans lequel certains airs donnent le sentiment de tourner à vide.
Le concert lui rendrait donc a priori davantage justice que le théâtre. Et pourtant, grâce à la dramaturgie limpide de Bernard Pico, Gilles Bouillon réussit l’audacieux pari de porter Armida à la scène, dans les beaux décors de Nathalie Holt. Le néoclassicisme distancié de la boîte blanche chère aux Herrmann s’y pare d’éléments symboliques pour suggérer les champs de batailles successifs de cette guerre d’amour que se livrent la magicienne et Rinaldo. Au milieu, une déchirure, celle de la carte du Tendre, cette faille qui se creuse inexorablement entre les belligérants. Car Armida est une variation en trois temps sur le thème de la séparation.
Las, la direction d’acteurs ne reflète pas toujours cette évidente clarté du propos dans le geste. Peut-être parce que Gilles Bouillon, si souvent prompt ailleurs à susciter le naturel, n’a pas su gommer chez l’une la tentation du mélodrame, chez l’autre la simple maladresse. La fosse est à l’unisson de cette forme d’inaboutissement. Alors que pour Iphigénie en Tauride de Gluck, qui avait ouvert la saison 2005-2006, Jean-Yves Ossonce avait resserré le vibrato de l’orchestre, il le laisse ici s’épancher. La capacité de réaction alanguie des cordes compromet dès lors la précision des attaques.
Le chef n’en reste pas moins fort habile conteur, et si les récitatifs, qu’il accompagne lui-même au clavecin, manquent assurément d’imagination dans la ponctuation, une agogique pertinente anime le discours en suivant les hésitations de l’âme qui en sont la clef de voûte – amour et devoir se disputent Rinaldo, passion et fureur consument Armida.
Assise, couleur corsée de soprano lyrique et agilité de colorature, Daniela Bruera possède bien le profil vocal de la magicienne. Mais la ligne, où plus d’un accent demeure déplacé, demeure insuffisamment contrôlée, aléatoirement couronnée d’aigus trop légers ou à l’arrachée, alors que l’actrice manque d’élégance et d’assurance, jamais ensorcelante.
La franchise, l’abattage même sont l’avantage de Sabine Revault d’Allonnes. Toutefois, vert et métallique, un rien pincé même dans des aigus non moins crânement attaqués, le timbre grésille, privant Zelmira de charme. Et si la souplesse n’est plus, chez Jean-Marie Frémeau, qu’un souvenir, son Idreno peut se prévaloir de l’envergure d’un grand professionnel.
Des deux seconds ténors, Alexander Swan est celui qui chante le moins alors qu’il le fait le mieux. Son Clotarco a de la correction stylistique, un timbre égal, mâle et élégant. Le médium de Michael Bennett est de tout aussi belle étoffe, mais en montant la voix s’amenuise dans le nez et perd tout panache. Surtout, l’Ubaldo du ténor britannique est handicapé par une indifférence totale au phrasé dans les récitatifs, débités comme à contre-courant.
Aucune indulgence, enfin, ne sera nécessaire pour évoquer la prestation de Xavier Mas, sa pharyngo-laryngite n’ayant véritablement affecté que l’intonation de son premier air et l’impact de certains aigus. Le velours juvénile, viril du timbre – jusque dans l’extrême grave d’un ambitus redoutable –, la noblesse d’un phrasé enveloppant – le duo du premier acte – et la fluidité de la vocalise, une présence naturelle et élancée font du ténor français un interprète tout simplement idéal de Rinaldo.
En plus d’oser une rareté, l’Opéra de Tours aura donc une nouvelle fois offert à l’un des chanteurs français les plus prometteurs de la jeune génération une prise de rôle accomplie.
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