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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Così fan tutte de Mozart mise en scène par Éric Génovèse et sous la direction de Jean-Christophe Spinosi au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Basta così !
Rinat Shaham (Dorabella) et Veronica Cangemi (Fiordiligi)
Le Così de Jean-Christophe Spinosi est à l’image de sa battue : décousu, emphatique, tantôt précipité, tantôt statique, finalement assez vain. Dans le décor ingénieux mais bien morne de Jacques Gabel, Éric Génovèse anime avec une vivacité souvent conventionnelle une distribution dominée par le Guglielmo de rêve de Luca Pisaroni.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 12/11/2008
Mehdi MAHDAVI
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Rien ne semble plus pouvoir arrêter l’ascension fulgurante de Jean-Christophe Spinosi. Hier estampillé vivaldien, les plus grandes maisons d’opéra se l’arrachent désormais dans un répertoire de plus en plus varié. La Scala de Milan l’attend pour le Barbier de Séville et le Comte Ory, Vienne l’entendra cette saison au Theater an der Wien dans une version mise en scène du Messie également présentée à Nancy, puis en 2010 à la Staatsoper dans le Barbier, tandis que le Châtelet lui a confié, après Véronique de Messager, une version scénique des Vêpres de la Vierge de Monteverdi, avant Norma de Bellini. De quoi satisfaire un public envoûté par l’énergie ébouriffante de cet agité de la baguette.
Pourtant, les failles révélées par l’Orfeo de Gluck, et douloureusement confirmées dans Alcina de Haendel au Palais Garnier continuent de se creuser. Désordonné, boursouflé, narcissique surtout, le geste se reflète dans des accents arbitraires – l’ouverture –, des tempi aléatoires – frénétiques ou sombrant dans les abîmes d’une lenteur dénervée, comme selon l’envie du moment – qui plus d’une fois mettent le plateau mais aussi la fosse en péril. Così fan tutte y perd son unité organique et finit par tourner à vide.
D’autant que l’Ensemble Matheus donne une piètre image de l’orchestre de Mozart, qui vire plus d’une fois au duo de contrebasse et timbales. Si les cuivres canardent, les bois sont à la parade. Quant aux cordes, sèches, incolores, comme anémiées, elles disparaissent corps et bien… Au pianoforte, Yoko Nakamura ne manque pas de fantaisie, mais n’est pas toujours en phase avec les chanteurs.
Complice de la première heure de Spinosi, Veronica Cangemi se mesure, après une Comtesse assez peu convaincante en 2005 sur la même scène, à sa première Fiordiligi. La sincérité d’une artiste sensible, d’une musicienne pugnace n’en peut mais, le rôle dépasse ses moyens de colorature endurcie au contact des furies vivaldiennes : le grave est creux, rêche, l’aigu difficile d’intonation comme d’émission, les traits rapides même – là où elle est ailleurs imbattable – manquent de précision et de vigueur.
Une fois son émission recentrée, concentrée – le tempo caracolant de Smanie implacabile l’y contraint –, Rinat Shaham fait une Dorabella pulpeuse, enjouée, avec des clins d’yeux dans la voix. Dans un emploi qui lui va parfaitement au timbre, qui y prend une saveur qu’on ne lui soupçonnait pas, la Despina de Jaël Azzaretti est irrésistible d’entrain, d’aisance, et de suraigu – facultatif.
S’il ne veut pas rapidement être engagé que pour son physique de jeune premier hollywoodien – qui ne gâche rien –, Paolo Fanale doit prendre garde de ne pas brûler les étapes. Car pour l’heure, la voix de ce Ferrando joliment musicien, enclin à la mezza voce, apparaît légère, suffisamment souple, mais avec des aigus, sans doute un rien trop couverts pour son type d’instrument, qui ne sont pas étrangers à quelques pointes d’exotisme stylistique.
Plus constamment concerné – certains récitatifs de ce natif sont curieusement bien droits –, Pietro Spagnoli serait un parfait Don Alfonso, vrai baryton capable de chanter le rôle de bout en bout, sans détimbrer comme le font la plupart des basses sur le retour qui y trouvent un emploi rêvé pour leurs vieux jours.
Le naturel insolent de Luca Pisaroni
Avec Guglielmo, la problématique est inversée, puisqu’on y entend souvent un baryton clair, alors qu’il y faut un vrai baryton-basse. Luca Pisaroni l’est idéalement, d’un naturel insolent et d’une constante beauté vocale sur toute l’étendue. De plus, le personnage est incarné avec un appétit évident, et même un léger soupçon de méchanceté.
Enfin que l’on se rassure, la mise en scène n’ébranle en rien ce temple du conservatisme qu’est le Théâtre des Champs-Élysées. Ingénieux, le décor de Jacques Gabel permet une belle alternance entre scènes d’extérieur et d’intérieur, mais le peu de soin apporté aux finitions – que n’atténuent pas les éclairages dénués de poésie d’Olivier Tessier –, la modestie du mobilier poussent à croire que la production d’Armide de Lully a englouti une bonne part du budget alloué à la scénographie. Malgré des drapés albanais bien mornes, les costumes simplement XVIIIe de Luisa Spinatelli apportent un rien de lumière méditerranéenne dans cette grisaille.
Et s’il sait animer un plateau, raviver l’intérêt avec quelques trouvailles distrayantes, et surtout instaurer une belle complicité entre ses personnages, notamment les deux sœurs, Éric Génovèse n’élève guère ce Così au-dessus de l’anecdote.
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