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CRITIQUES DE CONCERTS 19 mars 2024

Première à l’Opéra de Lille du spectacle I went to the house but did not enter de Heiner Goebbels.

Opéra en toutes Lettres
© Mario del Curto

Donné à l'Opéra de Lille, le nouveau spectacle de Heiner Goebbels, I went to the house but did not enter, est un éblouissement. Ce qui n'aurait pu paraître qu'un aride exercice littéraire devient également grâce aux membres du Hilliard Ensemble une bouleversante réflexion musicale qui se hisse à la hauteur des auteurs qu'il met en scène.
 

Opéra, Lille
Le 07/11/2008
Laurent VILAREM
 



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  • Heiner Goebbels est de ces noms mythiques, dont chacun, tour à tour, connaît et méconnaît l'existence, car il aura entendu parler des noms de ses spectacles Ou bien le débarquement désastreux, Paysage avec parents éloignés... ou parce qu'il aura lu dans des journaux peu rompus pourtant aux spectacles musicaux des pages résolument dithyrambiques.

    Ce I went to the house but did not enter créé au festival d'Édimbourg en août dernier et donné ici dans la saison régulière de l'Opéra de Lille ne déroge pas à la règle. Car voilà un spectacle musical qui se permet quinze premières minutes dans un silence absolu, ponctué seulement par l'agaçant tic-tac d'une pendule.

    Avec une précision de bande dessinée, quatre hommes en gabardine, chapeautés, débarrassent lentement une table de ses couverts et vident minutieusement la scène pour placer le tout dans de grands cartons blancs. Et quand ces mêmes hommes ressortent des cartons ce qu'ils y avaient déposés pour le remettre à quelques changements près exactement à la même place, des rires, embarrassés probablement par l'absence de musique – nous sommes à l'opéra ! – fusent dans la salle.

    C'est que Goebbels qui est également concepteur et metteur en scène du spectacle a déjà réussi son pari et modifié nos habitudes d'écoute. Lorsque les quatre hommes – qui ne sont autres que les membres du mythique Hilliard Ensemble – se mettront à chanter un poème de T.S. Elliott, le soulagement sera palpable et l'on pourra se gargariser tout son saoul de l'invraisemblable pureté d'intonation du vénérable groupe britannique. On comprend également que le compositeur, dans cette première partie – le spectacle en compte quatre, de longueur inégale – a d'ores et déjà réuni les conditions idéales pour l'écoute d'une parole poétique.

    Deuxième segment après un délicieux intermède où l'on voit les techniciens opérer un long changement de décor à vue, manière d'exhiber l'artifice du spectacle, et par-delà du langage ici étrangement désincarné, la mise en scène d'un texte de Blanchot. Ce qui aurait pu passer pour une tisane apte à donner des maux de tête au plus ardent étudiant en Lettres devient décidément avec Goebbels infiniment drôle, malaisant et hypnotique.

    Blanchot donc se verra jouer par quatre hommes encore – toujours les membres du Hilliard, excellents comédiens –, figés derrière la fenêtre d'une façade d'immeuble. On se retrouve alors en plein théâtre existentialiste, où le sens disparaît dans les méandres d'une parole en « je Â». Notions déjà mille fois vues ailleurs mais ici revivifiées.

    Un court interlude Kafka et l'on entre dans ce qui constitue l'aboutissement du spectacle et qui couronne d'un éclat certain la cohérence de cette étonnante création : la mise en musique de Cap au Nord, texte de Samuel Beckett composé de bribes de mots.

    Psalmodie

    C'est que le sujet n'est finalement pas la métaphysique ou la linguistique mais bien la musique elle-même. Les quatre hommes se retrouvent dans une chambre d'hôtel et psalmodient durant une demi-heure dans un langage vocal peu caractérisé qui évoque aussi bien Britten qu'une liturgie religieuse, un texte incantatoire.

    Et de leur gestes routiniers – prendre un verre dans le mini-bar, s'agenouiller devant la télévision, regarder les diapositives d'une enfance sublimée –, le compositeur réenchante leurs quotidiens, la musique s'affirmant même comme le seul biais pour donner du sens aux mécaniques de nos existences.

    Et ce n'est pas le moindre des miracles du spectacle, qu'à partir d'une prosodie aussi sommaire, avec quatre voix sublimes, I went to the house but did not enter réussisse à rendre à la musique le plus beau des hommages. Le groupe qui chante en cercle face au public s'en voit révolutionné, et ce qui n'aurait pu paraître que cérébral se charge d'une sidérante force poétique et d'une mélancolie sous-jacente proprement bouleversante.

    Saluons l'Opéra de Lille qui aura accueilli dans sa saison ce beau spectacle avant qu'un très intriguant Labyrinthe Ligeti, Parcours Truqué ne vienne lui succéder.




    Opéra, Lille
    Le 07/11/2008
    Laurent VILAREM

    Première à l’Opéra de Lille du spectacle I went to the house but did not enter de Heiner Goebbels.
    Heiner Goebbels (*1952)
    I went to the house but did not enter, concert scénique en trois tableaux

    concept, musique et mise en scène : Heiner Goebbels
    scénographie et éclairages : Klaus Grünberg
    costumes: Florence von Gerkan
    création espace sonore: Willi Bopp

    Avec le Hilliard Ensemble (David James, contre-ténor ; Rogers Covey-Crump, ténor ; Steven Harrold, ténor ; Gordon Jones, baryton).

     


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