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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Récital Haendel Furore ! de la mezzo-soprano Joyce DiDonato accompagnée par les Talens Lyriques sous la direction de Christophe Rousset à la salle Pleyel, Paris.
Une grande sensation
En 2002, Joyce DiDonato faisait irruption dans la cour des grandes en franchissant un moucharabieh. Depuis, la mezzo américaine a tout conquis, à commencer par le public. Car si nous n’étions encore qu’une poignée à son récital de mélodies françaises et espagnoles à Gaveau en avril 2007, c’est une salle Pleyel comble qui a ovationné debout son Furore haendélien.
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Furore ! On traduira spontanément, en passant subrepticement du masculin au féminin, par fureur, promesse d’une succession ininterrompue de coloratures vindicatives. Mais Joyce DiDonato n’est pas du genre à s’enfermer dans un registre aussi réducteur : sa palette, tant technique qu’expressive, est bien trop large pour supporter le carcan de la seule démonstration de rage virtuose. Relisons plutôt la définition qu’Isabelle Moindrot donne de l’aria di furore dans son ouvrage l’Opéra seria, ou le règne des castrats (Fayard).
« Même si cette convention est devenue l’emblème d’un drame rompu à tous les excès, l’aria di furore n’apparaît pas sous une forme unique et stéréotypée. Certes, lorsqu’elle fait l’objet de parodie, elle se présente le plus souvent sous son aspect agitato, rapide et bref, comme un air multipliant les éclats de voix, les sauts d’intervalles, les accents et les attaques faits pour emporter l’enthousiasme du public. » On reconnaît évidemment là les airs de la Medea de Teseo, O stringerò nel sen et Morirò, ma vendicata, Sorge nell’alma mia de Tirinto, extrait d’Imeneo, et Crude furie de Serse : « ce sentiment exacerbé, qui fait porter toute l’attention sur le chant, prend généralement l’aspect de la colère, mais aussi de l’orgueil blessé, de la jalousie effrénée, de l’appétit démesuré. »
Mais plus loin, et comme un développement de « l’orgueil blessé » : « Si l’air de fureur est devenu l’aboutissement de l’aria passionnée, ce moment où l’expression du sentiment peut atteindre son point culminant, la fureur classique n’implique pas toujours l’extériorisation exacerbée du sentiment. Une telle passion peut témoigner aussi bien d’un état actif (colère, rage…) que d’un état passif (douleur, repli sur soi, défaillance). C’est pourquoi beaucoup d’airs de fureur sont dépourvus des éclats vigoureux de l’aria di vendetta, et manifestent au contraire un sentiment profondément sombre, intensément tragique. » Ce qui nous amène à Scherza infida, et dans une moindre mesure à Cease, ruler of the day, to rise qui, à l’instar de Where shall I fly ?, outrepasse les canons du seria italien.
Une tradition d’interprétation, initiée à Poissy en janvier 1997 par Anne Sofie von Otter et Marc Minkowski, veut que l’air d’Ariodante, se croyant à tort trompé par Ginevra, déroule sa plainte hors du temps, aux confins du silence. Le procédé est assurément bouleversant, mais en rien inévitable – Lorraine Hunt emprunte avec Nicholas McGegan la voie opposée. D’une part, la partition ne porte aucune indication de tempo. D’autre part, les premiers mots : Scherza infida (Amuse-toi infidèle), dont les consonnes comme les triolets ricochent sur des violons et des altos con sordini, disent assez bien l’honneur bafoué.
Équilibre entre affliction et rage
Parce que Joyce DiDonato fait le choix de l’équilibre entre affliction et rage sourde ou affirmée, son interprétation n’en paraît que plus variée. La variété – des accents, des couleurs, de l’émission – est d’ailleurs ce qui, tout au long du programme, caractérise le mieux ce chant toujours en devenir, sur la corde raide, qui va constamment au bout d’intentions que le passage en studio n’a en rien figées.
Et la manière dont la chanteuse ose passer de profils vocaux aussi éloignés que ceux de Médée, créée par la soprano à contre-ut Elisabetta Pilotti-Schiavonetti, première Armida de Rinaldo, et des castrats Carestini et Caffarelli, auxquels Haendel destina les rôles-titres d’Ariodante et de Serse, – avec sans doute une émission un rien gonflée du tiers inférieur de la voix – est proprement stupéfiante.
Quel aigu enfin, quelle lumière, quelle facilité dans les abbellimenti ! Alors mezzo, soprano ? Quoi qu’en dise la première intéressée, l’avenir dissipera les doutes qu’une récente Alcina – le rôle-titre, et non Ruggiero – n’a pas manqué d’étayer. Qu’importe d’ailleurs, puisque Christophe Rousset, toujours plus grand couturier que maître décorateur, ajuste ses Talens Lyriques au plus près des affects et brode autour de la voix des couleurs d’un raffinement rare.
Les présents saisiront le titre de ce compte-rendu. Quant aux absents, certes moins nombreux à avoir tort que lors du récital au public clairsemé de la salle Gaveau en avril 2007, ils ne manqueront pas d’ajouter le disque Furore, récemment paru chez Virgin Classics et dont ce concert reprenait en grande partie le programme, à leur liste de Noël.
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Salle Pleyel, Paris Le 09/12/2008 Mehdi MAHDAVI |
| Récital Haendel Furore ! de la mezzo-soprano Joyce DiDonato accompagnée par les Talens Lyriques sous la direction de Christophe Rousset à la salle Pleyel, Paris. | Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Airs et pièces instrumentales extraits de Teseo, Imeneo, Il Pastor fido, Serse, Ariodante, Rodrigo et Hercules.
Joyce DiDonato, mezzo-soprano
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset | |
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