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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Première à Paris de l’Albert Herring de Britten mis en scène par Richard Brunel pour l’Opéra de Rouen, sous la direction de Laurence Equilbey à l’Opéra Comique.
English Desperate Housewives
L'Opéra Comique n’a rarement aussi bien porté son nom qu'avec ce désopilant Albert Herring de Britten qui, porté par une éblouissante troupe de chanteurs britanniques et une extraordinaire mise en scène très sitcom à satire sociale de Richard Brunel, procure un plaisir parmi les plus euphorisants que l'on ait connus cette saison.
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Voilà un spectacle qui se déguste comme une de ces admirables séries américaines d'aujourd'hui, où sous le divertissement se cache une féroce charge satirique et une précision de gestes et de situations proprement inouïes. En plusieurs scènes d'une demi-heure à la manière d'un épisode, on reste frappé et presque étourdi par la faculté de ces chanteurs anglophones à incarner aussi bien physiquement que vocalement les personnages de cet Albert Herring de Benjamin Britten que l'Opéra Comique a fait venir de l'Opéra de Rouen.
Précision déjà inscrite dans la musique de Britten et dans le livret qu'Éric Crozier a écrit d'après une nouvelle de Maupassant, qui narre l'élection du jeune Albert Herring en modèle de vertu dans un petit village du Suffolk. Britten s'amuse ici – nous sommes en 1947 – de son sombre Peter Grimes, par l'intermédiaire de ce jeune homme sous le joug de sa mère qui se rebelle contre le puritanisme de la communauté.
Mais le miracle du spectacle tient en premier lieu à l'extraordinaire mise en scène de Richard Brunel, déjà remarqué au dernier festival d'Aix dans l'Infedelta delusa de Haydn. On ferme les yeux en imaginant la situation donnée par Britten et son librettiste et les ouvrant, on se rend compte que le metteur en scène français a démultiplié l'action et le décor par mille et un petits détails justes.
Parce qu'il prend des libertés avec une très opportune sonorisation qui entraîne des gags mirifiques notamment à l'aide de caméras et de micros, il fait quitter le décor propret de ce lotissement britannique digne de l'ancienne série télé Ma sorcière bien aimée pour les contrées plus contemporaines des films de Tim Burton ou des célèbres Desperate Housewives qui mettent à mal l'hypocrisie de la classe bourgeoise américaine.
On gagerait que Brunel y a modelé la scène comme une symphonie : pour créer l'illusion d'une communauté, il a donné à voir une foule d'individus tous croqués selon des types très définis. Il ne se contente jamais du premier degré mais multiplie les perspectives notamment dans le décor – à l'avant-scène, un village miniature que les chanteurs regardent à la manière de géants entomologues – ou dans l'action – chacun vaque à ses occupations et s'intéresse à sa propre contenance – si bien qu'à l'aide de plateaux tournants, le spectateur voit un village de bande-dessinée s'animer véritablement devant ses yeux.
Le spectacle ne serait rien non plus sans l'excellence, théâtrale comme vocale, de cette admirable troupe de chanteurs britanniques – à l'exception de la mezzo suisse Hanna Schaer, comme toujours parfaite en mère d’Albert rugueuse et bornée. Chacun y a matière à une prestation mémorable : de l'acariâtre Mrs Pike de Felicity Palmer au maire vocalisant de Simeon Esper, au prêtre télévisuel de Christopher Purves, jusqu'à l'irrésistible numéro de majorette d’Allish Tynan en institutrice du village.
On citerait encore les alliés d’Albert, ce jeune couple qui s'oppose au puritanisme ambiant, avec le Sid de Leigh Melrose, crooner à l'énergie mâle, et la radieuse Nancy de Julia Riley, vêtue d'une robe flowerpower qui annonce la libération sexuelle des années 1960. Remarquable enfin, l’Albert Herring d’Allan Clayton, qui de sa belle voix claire de ténor anglais dessine un personnage ballot au début, qui se découvre par la suite une intelligence révoltée.
On en vient même parfois à oublier la musique de Britten, tant le naturel théâtral des chanteurs y fait humer un rafraîchissant parfum d'improvisation. Et pourtant, Laurence Equilbey, aidée des agiles musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen, mène de main de maître les virtuoses ensembles vocaux qui ponctuent la partition.
De cet Albert Herring de Britten, on pourrait dire en reprenant et en modifiant un peu l'expression de Debussy à propos du Sacre du printemps de Stravinski qu'il est « une comédie musicale avec tout le confort de l'opéra moderne ». Il fallait beaucoup d'énergie et de talent pour divertir. Richard Brunel et toute l'équipe du spectacle y parviennent brillamment.
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Opéra Comique - Salle Favart, Paris Le 28/02/2009 Laurent VILAREM |
| Première à Paris de l’Albert Herring de Britten mis en scène par Richard Brunel pour l’Opéra de Rouen, sous la direction de Laurence Equilbey à l’Opéra Comique. | Benjamin Britten (1913-1976)
Albert Herring, opéra-comique en trois actes (1947)
Livret d'Éric Crozier d'après une nouvelle de Guy de Maupassant
Orchestre de l'Opéra de Rouen-Haute Normandie
direction : Laurence Equilbey
mise en scène : Richard Brunel
décors : Marc Lainé
costumes : Claire Risterucci
Ă©clairages : Mathias Roche
effets sonores : Marc Chalosse
Avec:
Allan Clayton (Albert Herring), Nancy Gustafson (Lady Billows), Felicity Palmer (Florence Pike), Hanna Schaer (Mrs Herring), Christopher Purves (Le vicaire), Allish Tynan (Miss Wordsworth), Leigh Melrose (Sid), Julia Riley (Nancy), Andrew Greenan (Commissaire Budd), Simeon Esper (Le maire). | |
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