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CRITIQUES DE CONCERTS |
08 octobre 2024 |
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Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Patrice Chéreau et sous la direction de Daniel Barenboïm à la Scala de Milan.
Un Tristan de toute beauté
Événement de la saison passée, le Tristan et Isolde marquant le retour de Patrice Chéreau à Wagner trente-deux ans après son Ring anthologique au Festival de Bayreuth, révèle une nouvelle Waltraud Meier. Une grande soirée, même si l’interprétation vocale n’est jamais vraiment à la hauteur de l’orchestre de Daniel Barenboïm.
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La Scala de Milan, sans doute le théâtre d’opéra le plus célèbre au monde, inaugure traditionnellement sa nouvelle saison chaque 7 décembre, le jour de la Saint Ambroise. Cette soirée d’ouverture est un événement médiatique et mondain unique, dépassant de très loin le cadre de la vie musicale italienne. Parce qu’il faut y être vu côtoyant des personnalités politiques, artistiques ou du monde des affaires, les spectateurs n'hésitent pas à débourser quelque 2000 € pour un fauteuil d’orchestre ou de loge.
Mis en scène par Patrice Chéreau, qui n’avait plus touché au répertoire wagnérien depuis le Ring mythique qu’il avait monté pour le centenaire de la création au festival de Bayreuth 1976, son Tristan avait été l’événement lyrique incontournable de la saison 2007-2008. Succès oblige, le spectacle est repris ce mois de février pour six représentations, afin de donner une nouvelle opportunité aux nombreux spectateurs n’ayant pu obtenir un précieux billet l’année passée.
Certes, on a pu découvrir grâce au DVD récemment paru chez Virgin ce Tristan filmé par la RAI le 7 décembre 2007, enregistrement qui reflète fidèlement le spectacle grâce à une formidable direction d’acteurs qui passe admirablement à l’écran. Mais le film ne restitue pas totalement l’impact de la scène, et en particulier de l’impressionnant décor de Richard Peduzzi, qui semble engloutir des personnages submergés par le Destin.
On a dit que le Tristan de Chéreau n’était pas au niveau de son Ring. C’est exact dans la mesure où le livret ne contient pas le message philosophico-politique qui avait permis à sa Tétralogie de révolutionner la vision de ce monument par sa relecture innovante de la mythologie wagnérienne. En revanche, sa fulgurante mise en vie du texte et de la musique privilégie la passion irrésistible du couple avec une vérité inouïe et un romantisme qui rend aussi justice à la légende celtique originale.
À bien des égards, ce Tristan de fureur et de sang, d’une constante beauté plastique, d’une déchirante émotion et d’une lisibilité parfaite, se situe exactement à l’opposé de celui de Wieland Wagner – la référence de tant de Wagnériens –, totalement statique et intellectualisé à l’extrême.
Avec Chéreau, chaque personnage est humainement caractérisé. Jamais on n’avait vu un Melot aussi explicitement amoureux d’Isolde et jaloux de Tristan avec le cheminement dramatique de sa trahison. Brangäne est ici la vieille nounou d’Isolde. Au II, gardienne omniprésente, elle veille comme un chien fidèle. La tendresse paternelle de Marke est sans ambiguïté, comme l’affection réciproque que lui porte Tristan. Cette mise en scène souvent cinématographique associe aussi des personnages muets – gardes, soldats, fidèles compagnons de Tristan – aussi actifs que combatifs, en particulier au III.
Une Meier métamorphosée
Pour nous, la sensation, ô combien inattendue, du spectacle, est d’y découvrir une Waltraud Meier métamorphosée par Chéreau dans son incarnation de la Princesse d’Erin. Depuis ses débuts dans le rôle à Bayreuth en 1993, et dans les diverses productions qu’elle a assumées un peu partout, l’Allemande avait, plus ou moins, imposé sa propre conception d’une Isolde manipulatrice, plus cérébrale que passionnée. Elle nous apparaît soudain non seulement avec le vrai look d’Isolde, mais libérée de sa réserve, avec une vérité et une spontanéité qui lui faisaient défaut jusqu’ici : dévorée par une passion irrésistible.
Ce feu qui la consume trouve son accomplissement, sa sublimation, dans une Liebestod où l’héroïne atteint à l’amour suprême en portant les stigmates de la blessure de Tristan. L’image de cette Isolde extatique, le sang coulant de son front, est inoubliable, digne du souvenir de la Brünnhilde de Gwyneth Jones dans le Ring du centenaire. Après une inquiétante méforme constatée à Paris lors de l’ultime reprise de la production de Sellars cet automne, Meier s’est refait une santé vocale, et même si l’on est loin des glorieux aigus d’une Nina Stemme dans le même rôle, on l’a retrouvée égale à elle-même.
Pour cette reprise, Robert Gambill alterne avec Ian Storey, le Tristan initial, qui avait connu des problèmes d’endurance la saison dernière. Un Gambill aminci, presque méconnaissable, mais qu’on a connu vocalement moins terne dans la production de Glyndebourne, également disponible en DVD.
Mais il est vrai que l’orchestre sublime de Barenboïm ne fait de cadeau à personne et à tendance à submerger parfois les voix, à la seule exception du Marke toujours imposant de Matti Salminen, le chanteur le plus impressionnant du plateau. Ni la nouvelle et sensible Brangäne (Lioba Braun), ni le Kurwenal de l’an passé (Gerd Grochowski) ne déméritent, mais toutes les pointures vocales se situent bien en deçà de la prestation d’un Orchestre de la Scala galvanisé par la direction bouillonnante et passionnée de Barenboïm, qui offre un Wagner d’une irrésistible splendeur.
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