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CRITIQUES DE CONCERTS 27 avril 2024

Première à l’Opéra national de Bordeaux du Couronnement de Poppée de Monteverdi mis en scène par Robert Carsen, sous la direction de Rinaldo Alessandrini.

In bed with… Poppea
© Guillaume Bonnaud

Un lit, une cohorte de domestiques, il n’en fallait guère plus pour qu’Armide, déjà sœur d’Alcina, se découvre une jumelle vénitienne. Créé à Glyndebourne en juillet 2008, le Couronnement de Poppée présenté à Bordeaux porte assurément la griffe infiniment reproductible du système Carsen, qui ne trouble pas le Monteverdi ascétique et exigeant de Rinaldo Alessandrini.
 

Grand-Théâtre, Bordeaux
Le 08/06/2009
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Durant l’ère Gall Ă  l’OpĂ©ra de Paris, chaque nouvelle production de Robert Carsen faisait figure d’évĂ©nement, synonyme de faste et d’invention scĂ©nographiques, parangon d’un post-modernisme de bon goĂ»t, le plus souvent nourri aux prĂ©ceptes normatifs – dĂ©jĂ  – de la psychanalyse. La virtuositĂ© technique, l’esthĂ©tisme dissimulaient alors ce que la direction d’acteurs pouvait avoir, au-delĂ  de la fluiditĂ© du geste imposĂ©e aux plus grandes stars du chant, RenĂ©e Fleming en tĂŞte, de convenu mais assurĂ©ment tĂ©lĂ©gĂ©nique.

    L’Armide de Lully prĂ©sentĂ©e au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es en octobre dernier, parce qu’elle reproduisait un schĂ©ma narratif dĂ©jĂ  appliquĂ© Ă  Alcina de Haendel, mais aussi Ă  Rusalka de Dvořák, rĂ©vĂ©lait les ficelles d’un système vouĂ© Ă  se rĂ©pĂ©ter Ă  l’infini, d’une manière tout aussi figĂ©e que celui d’un Robert Wilson. CrĂ©Ă© Ă  Glyndebourne en juillet dernier, le Couronnement de PoppĂ©e de Monteverdi aujourd’hui repris au Grand-Théâtre de Bordeaux porte tout aussi ostensiblement la griffe de son auteur.

    Ajoutant à sa galerie de portraits féminins une nouvelle figure séductrice et lascive, ambitieuse et finalement abandonnée, le metteur en scène canadien procède par mises à distance successives : le prologue prétexte débute par un dialogue parlé, en français, où la Fortune accuse la Vertu d’avoir usurpé sa place au premier rang du théâtre. C’était sans compter sur l’Amour qui, une fois le premier rideau tombé, devient le moteur véritable, omniprésent d’une énième mise en abyme. Mais tout cela ne se trouve-t-il pas déjà dans les mots mêmes de Busenello, énoncés avec une clarté certes allégorique, condamnant à la redondance toute forme de préambule ?

    Secondé par son habituel cortège de femmes de chambre et majordomes, Carsen déploie dans l’intrigue de cour son savoir-faire, mais ne surprend jamais à travers le reflet édulcoré de la mise en scène gratuitement trash de David McVicar, elle-même calque affadi de celle de David Alden, qui a su mieux que quiconque ces dix dernières années épuiser l’esprit de l’œuvre.


    Eau teintée de crime

    Matrice de l’univers carsenien, le lit occupe le centre d’un plateau modelĂ© par des rideaux rouges, raccourcis plus que symboles de l’amour, du sang, du sexe, de la violence… Puis une baignoire, oĂą seul SĂ©nèque devrait mourir, suicidĂ© par caprice adultĂ©rin, mais oĂą viennent tremper dans une eau teintĂ©e de crime Lucain, Ă©touffĂ© pour avoir Ă©tĂ© meilleur poète que NĂ©ron – ce dernier ne s’exclamera-t-il pas, se voyant mourir : « Quel artiste va pĂ©rir avec moi ! Â» ? –, Octavie conspiratrice, Drusilla complice. Parce que tous sont de la mĂŞme eau, dans le mĂŞme bain.

    Oui, cette Octavie qui occupe seul le lit conjugal atteint une certaine dignité tragique, et le déploiement des tentures projette des ombres virtuoses. Mais rien ne trouble l’ordre moral, la licence demeure lisse et sans volupté dans une esthétique qui ne tend jamais vers cette rupture qui est le lieu véritable de l’opéra vénitien. Belle donc, la Poppea de Robert Carsen l’est assez pour se laisser feuilleter comme les pages glacées d’un magazine de mode, prisonnière de sa signature glamorous chic.

    Là n’est assurément pas le propos musical, plus encore poétique, théâtral de Rinaldo Alessandrini, qui n’use d’aucune distance avec la lettre monteverdienne, fidèle à l’instrumentarium ascétique qu’il défend dans l’œuvre depuis toujours, farouchement opposé tant à l’hédonisme vain de William Christie qu’à la rigueur métrique signifiante et luxuriante dont René Jacobs pare le récitatif. Souvent le clavecin seul guide la voix nue dans ce qui ressortit au pur recitar cantando, harpe, basses d’archet et cordes pincées n’ornant pour ainsi dire que les arie ou mezz’arie, tandis que les deux violons et l’alto n’interviennent, conformément au manuscrit de Naples sur lequel se base cette réalisation de la partition, que dans les sinfonie et ritornelli.


    L’art de la nonchalance

    Cette aridité assumée de la couleur instrumentale se révèle particulièrement exigeante pour les chanteurs, et ne pourrait sans doute être goûtée pleinement qu’avec une distribution exclusivement italienne, et parfaitement rompue aux exigences stylistiques singulières de ce répertoire, où la notion de sprezzatura, cette nonchalance évoquée par Giulio Caccini dans la préface de ses Nuove musiche, conduit trop souvent à un relâchement de la déclamation, sous le prétexte d’une liberté prosodique qui n’en doit pas moins suivre le rythme poétique.

    Par nature, l’Ottavia de Roberta Invernizzi domine tout. Parce qu’elle possède évidemment la langue, ses couleurs, ses ruptures, et qu’elle sait infléchir chaque syllabe selon une nécessité poétique guidée par le seul sens, jamais soumise à un quelconque moule vocal, sans doute hétérogène d’émission donc, mais si supérieure d’émotion.

    Par culture, Jeremy Ovenden, le Nerone d’Alessandrini à l’Opéra du Rhin en 2005, où déjà se pressentait le rôle d’une vie, l’égale presque d’une diction au cordeau, et infiniment variée, d’une couleur certainement peu séduisante, mais exaltée jusqu’à la perversité, et d’une ornementation hardie, ciselée, d’une jouissive liberté.

    L’Ottone de Max Emanuel Cencic est un cas à part, car nul n’a sans doute jamais mieux chanté le rôle en terme de pure tenue vocale dans cette tessiture périlleuse, notée dans la clé intermédiaire, ni soprano ni alto, d’ut2. Pas un instant, son métal noble ne semble flotter entre deux registres dans un flux suffisamment nourri de consonnes pour ne pas se limiter à une somptueuse démonstration de legato.

    Monumentale est l’Arnalta de Jean-Paul Fouchécourt, et se doit d’être appréciée comme telle, en oubliant donc que le ténor, ou plutôt haute-contre français, y a moins cabotiné, et parvenait il y a peu encore à susurrer sa berceuse comme dans un seul souffle. Dans le travestissement, la Nutrice de Martin Oro, vraiment falsettiste lui, et jouant de ruptures marquées entre la tête et la poitrine, ne lui cède en rien.

    Les autres figures, sans exception, sont moins marquantes. Comme en tout ce qu’elle fait, Jaël Azzaretti est une Drusilla vocalement calibrée, irréprochable, mais sans plus de grâce. Daphné Touchais, Valletto physiquement idéal, est trop limpide de timbre pour être espiègle, alors qu’Ingrid Perruche méritait plus que la Fortuna, Drusilla par exemple. Jérôme Varnier n’a pour Sénèque que son creux, sans souplesse, sans dynamique, sans mot, absolument monolithe, ce qui ne peut tenir lieu de stoïcisme.

    Quant à Karine Deshayes, elle semble assez constamment encombrée de son opulent mezzo, dont l’enveloppante pulpe se durcit, malgré l’évidence de l’extension, dans le haut d’une tessiture qui plus d’une fois l’oblige à escamoter les consonnes et niveler les voyelles. Sa Poppea n’est donc qu’ambitieuse, par défaut de sensualité.




    Grand-Théâtre, Bordeaux
    Le 08/06/2009
    Mehdi MAHDAVI

    Première à l’Opéra national de Bordeaux du Couronnement de Poppée de Monteverdi mis en scène par Robert Carsen, sous la direction de Rinaldo Alessandrini.
    Claudio Monteverdi (1567-1643)
    L’Incoronazione di Poppea, dramma in musica en un prologue et trois actes (1642)
    Livret de Giovanni Francesco Busenello, d’après le livre XIV des Annales de Tacite.

    Musiciens de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine
    Concerto Italiano
    direction musicale : Rinaldo Alessandrini
    mise en scène : Robert Carsen
    décors : Michael Levine
    costumes : Constance Hoffman
    Ă©clairages : Robert Carsen et Peter van Praet
    dramaturgie : Ian Burton

    Avec :
    Ingrid Perruche (Fortuna), Julie Pasturaud (Virtú), Khatouna Gadelia (Amore), Max Emanuel Cencic (Ottone), Karine Deshayes (Poppea), Jeremy Ovenden (Nerone), Jean-Paul Fouchécourt (Arnalta), Roberta Invernizzi (Ottavia), Jaël Azzaretti (Drusilla), Jérôme Varnier (Seneca), Trevor Scheunemann (Mercurio / Tribuno 1), Jean-Manuel Candenot (Littore / Tribuno 2 / Famigliare 3), Martin Oro (Nutrice / Famigliare 1), Alexandra Resztik (Damigella / Amore 2), Daphné Touchais (Valletto), Luca Dordolo (Lucano / Soldato 1 / Console 1 / Famigliare 2), Fredrik Akselberg (Liberto / Soldato 2 / Console 2).

     


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