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CRITIQUES DE CONCERTS |
07 octobre 2024 |
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Nouvelle production d’Al gran sole carico d’amore de Nono dans la régie de Katie Mitchell et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2009.
Salzbourg 2009 (2) :
Le tragique solaire
Parfaitement aboutie et subtilement maîtrisée, l’action scénique de Nono dédiée aux héroïnes du communisme présentée à Salzbourg redéfinit d’une manière salutaire la notion de musique engagée, loin des querelles partisanes et des idéologies poussiéreuses. Une leçon de probité musicale et théâtrale, d’humilité au service de l’humanité, lyrique et empreinte d’amour.
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Il y a une ironie assez tragique à voir le public de Salzbourg – que l’on n’imagine pas le plus à gauche au monde – réserver à ce mausolée du communisme qu’est Al gran sole carico d’amore le même accueil qu’à Così fan tutte quelques mètres plus loin. Est-ce que la seule qualité de l’exécution, indépendamment de l’œuvre, était magistrale, ou faut-il y voir une réaction dans l’air du temps à cette fameuse crise dont les médias ont fait le centre de gravité de toute réflexion possible en 2009 ? Quoi qu’il en soit, nous éprouvons de l’amertume à ne pas voir cette œuvre majeure et exemplaire faire plus d’effet qu’un bel objet de musée à une élite sociale pourtant au cœur du questionnement du compositeur.
Bien sûr, on pourra contester le principe même de l’art engagé, et l’effet de mode qui consiste à étaler cette apologie du communisme à l’heure opportune de la crise du capitalisme qui – l’a-t-on assez répété ? – est le seul système qui marche, et au-delà discuter les choix de mise en scène qui font la part belle à la vidéo et s’éloignent trop des canons de l’opéra.
N’importe : l’œuvre de Nono, à l’image du Canto sospeso, est admirablement apolitique et il faudrait que l’arbre cache bien la forêt pour pouvoir contester son message : « la beauté n’est pas incompatible avec la révolution ». Derrière les grandes figures féminines du communisme qui tissent la trame, c’est en effet un hommage rendu à tous les révolutionnaires, et moins à leur bravoure qu’à leur amour ; on est tout près des Justes de Camus et de la figure aimante de Dora. D’où le titre lumineux et tiré de Rimbaud d’une œuvre plongée vers les ténèbres et la souffrance, mais pleine d’espoir : « le seul air qui soit respirable, c’est l’amour de l’humanité ».
C’est avec une sobriété et un réalisme quotidien de très bon goût que Katie Mitchell s’attaque à la narration ténue d’une pièce fragmentaire où les longues immobilités de textures suspendues et saturées de la partition alternent avec les fulgurances les plus rauques qu’on puisse imaginer, coups de canon et déchirements de l’Histoire.
La mobilité et la probité de la captation vidéo des comédiennes, dont les gestes les plus menus deviennent d’immenses symboles étalés aux murs de la Felsenreitschule, installent une tension permanente rythmée par le rituel des chanteuses qui enfilent des gants blancs avant d’aller tour à tour fouiller dans les archives d’un musée imaginaire. Clandestinité, angoisse, déportation, mort, c’est dans l’intimité de ces héroïnes que nous fait pénétrer l’ingénieux dispositif scénographique permettant toutes les transitions entre la chambre de chacune des cinq femmes, le musée et quelques scènes d’extérieur saisissantes.
Ingo Metzmacher conduit idéalement les Wiener Philharmoniker aux confins du silence et de la brutalité, dans un souci coloriste absolument passionnant et avec une âpreté terrible des deux imposants groupes de percussions, tandis que le plateau vocal brille par son efficacité, sa précision, mais aussi son engagement musical et dramatique – les cinq chanteuses qui se partagent les quatre difficiles parties de soprano faisant preuve dans l’endurance d’un soin et d’une finesse musicale remarquables – face à un chœur omniprésent absolument impeccable.
Ni dogmatique ni militant, mais humaniste, et comme toute la musique de Nono, d’un lyrisme constant et parfois difficilement supportable, celui-là même du quotidien de la vie filmée au plus près, le spectacle – dédié à Pina Bausch – est à la fois poétique et extrêmement fort, d’une probité sans faille qui ne dérape jamais dans la glorification ou dans la propagande grâce à l’humanité de ces femmes simples qui ne sont ni chefs de file ni porte-drapeaux.
Salzbourg, où la musique contemporaine joue historiquement un rôle considérable dans la programmation, peut s’enorgueillir d’avoir mis à l’affiche une œuvre aussi importante avec une excellence scénique et musicale rares ; la douloureuse évocation des martyrs des révolutions du passé, adressée « au grand soleil d’amour chargé », n’a-t-elle pas un sens criant pour l’humanité dans le tout jeune nouveau millénaire ?
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Felsenreitschule, Salzburg Le 14/08/2009 Thomas COUBRONNE |
| Nouvelle production d’Al gran sole carico d’amore de Nono dans la régie de Katie Mitchell et sous la direction d’Ingo Metzmacher au festival de Salzbourg 2009. | Luigi Nono (1924-1990)
Al gran sole carico d’amore, azione scenica in due parti (1975)
Textes de Luigi Nono et Yuri Liubimov d’après Bertolt Brecht, Tania Bunke, Fidel Castro, Georgi Dimitrov, Maxim Gorki, Ernesto Che Guevara, Antonio Gramsci, Vladimir LĂ©nine, Karl Marx, Louise Michel, Cesare Pavese, Arthur Rimbaud, Celia Sánchez, HaydĂ©e SantamarĂa
Coproduction avec le Staatsoper unter den Linden, Berlin
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Ingo Metzmacher
régie : Katie Mitchell
décors et costumes : Vicki Mortimer
photographie : Leo Warner
Ă©clairages : Bruno Poet
régie sonore : André Richard
préparation des chœurs : James Wood
Avec :
Elin Rombo (soprano I et III), Anna Prohaska (soprano III et I), Tanja Andrijic (soprano I), Sarah Tynan (soprano II), Virpi Räisänen (soprano IV), Susan Bickley (alto), Peter Hoare (ténor), Christopher Purves (baryton), Andrè Schuen (basse I), Hee-Saup Yoon (basse II), Thomas Köber, Max Lütgendorff (solistes du chœur), Susan Bickley (Louise Michel), Julia Wieninger (Tania Bunke), Birgit Walter (la mère russe), Laura Sundermann (Deola), Christopher Purves (le client de Deola), Helena Lymbery (la mère turinoise), Andrè Schuen (le fils de la mère turinoise), Sebastian Pircher (caméra en direct). | |
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