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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Liederabend de Thomas Quasthoff accompagné au piano par Lars Vogt au festival de Salzbourg 2009.
Salzbourg 2009 (7) :
Heureux ceux qui croient
Révélation que ce Liederabend de Thomas Quasthoff et Lars Vogt, d’un accomplissement tout simplement miraculeux, où plus que la voix, le savoir-faire, le travail d’équipe ou la littéralité, ce sont la sincérité et la ferveur qui vont droit au cœur ; de quoi faire réfléchir à ce qu’est ou devrait toujours être l’art du récital.
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C’est une fois de plus un programme très noir qu’a choisi Thomas Quasthoff, où des Rückert-Lieder tout en intériorité – très beau piano impalpable de l’impeccable Lars Vogt, qui refuse de jouer la carte de l’imitation de l’orchestre – trouvent dans les Quatre Chants sérieux de Brahms – d’une gravité sobre et sans pénitence caricaturale, le troisième particulièrement caressant – un écho consolateur, encadrant les Six Monologues de Jedermann – cercueil cloué à grands coups de marteaux du piano – et le funèbre Entsorgt d’Aribert Reimann pour baryton solo, âpre et passionné.
Dans n’importe quelle prestation, il y aura toujours des réserves à émettre, trop petit par-ci, trop gros par-là , trop blanc, trop vibré, trop à droite ou trop à gauche ; mais franchement, qui cela peut-il intéresser ici ? Qu’on nous pardonne de ne pas éplucher le détail du menu d’une prestation avant tout hautement symbolique à nos yeux : il s’agit DU récital que nous attendions depuis toujours, malgré une admiration pour l’art de diseur des Gerhaher ou Prégardien, malgré une empathie pour les bons côtés des Schäfer ou tout dernièrement Kožená.
Car enfin quand on écoute les disques de Fischer-Dieskau ou Schwarzkopf, plus que le style, les qualités vocales, la clarté du texte, ce qui tranche cruellement avec le tout-venant de notre temps, c’est l’implication musicale, le sens, la densité. Et comme ce sont des disques – il faut toujours se méfier du studio – et qu’on entend désormais tellement hurler au génie dès qu’un artiste a un peu de talent – faut-il que les vrais artistes manquent ? –, on finit par se prendre au jeu et se persuader que cet art doré et légendaire, évident, puissant, sophistiqué mais avec le naturel de tout ce qui est sincère n’existe pas ou n’a jamais existé, que ce sont des chimères dont les « vieux » mélomanes s’enivrent pour pouvoir critiquer tout ce qui s’entend de nos jours.
C’est ce scepticisme qui s’est effondré ce soir, et en ce qui nous concerne la preuve est faite qu’un véritable art du récital est possible : oui nous avions raison d’exiger plus des artistes même encensés par la critique, plus de texte, plus de couleurs, plus d’engagement, moins de cinéma et plus d’expression vraie, d’honnêteté, de ferveur – c’est possible et cela change les choses, ce n’est pas qu’une vue de l’esprit – ; oui nous avions raison de croire qu’il est possible d’endurer une soirée de Lied sans avoir le texte sous les yeux et de comprendre non seulement le son mais le sens de chaque parole prononcée avec la même évidence absolue que dans la voix parlée ; oui nous avions raison de critiquer toutes les formes de complaisance qui détournent l’attention de l’essentiel au profit de séductions faciles et sans lendemains.
Déjà , lors de la masterclass du Young Singers Project du 16 août, il nous était apparu, au milieu de l’humour, de l’intégrité, de l’autodérision et de la finesse de l’artiste, combien le moindre petit exemple était comme illuminé de l’intérieur par le sens, comment la voix et l’articulation n’étaient que le prolongement de la pensée, à quel point les moyens s’effaçaient derrière l’idée. Tout est dit. Nous avions désespéré d’entendre un artiste d’une telle envergure et nous nous étions résigné à célébrer le talent des chanteurs pour le récital. Pour nous, cela ne suffira plus.
Nous avons entendu de l’art à l’état pur, de l’humanité, de la compassion, de la sagesse, de la contemplation, et dans cette expérience qui touche enfin au sacré – nous l’appelions de nos vœux –, il nous a semblé vivre cette élévation de l’esprit qui devrait toujours être le nerf de la guerre. Aucun savoir-faire ne peut s’approcher de ces hauteurs, qu’il ne soit transfiguré par une sensibilité exceptionnelle, et c’est très manifestement la principale qualité de Thomas Quasthoff.
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Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 18/08/2009 Thomas COUBRONNE |
| Liederabend de Thomas Quasthoff accompagné au piano par Lars Vogt au festival de Salzbourg 2009. | Gustav Mahler (1860-1911)
RĂĽckert-Lieder
Frank Martin (1890-1974)
Sechs Monologe aus Jedermann
Aribert Reimann (*1936)
Entsorgt, fĂĽr Bariton solo
Johannes Brahms (1833-1897)
Vier ernste Gesänge, op. 121
Thomas Quasthoff, baryton
Lars Vogt, piano | |
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