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CRITIQUES DE CONCERTS 25 avril 2024

RĂ©cital du pianiste Ivo Pogorelich Ă  la salle Gaveau, Paris.

Fantôme d'un phénomène
© Trekearth / mcreider

Les récitals parisiens du pianiste serbe Ivo Pogorelich, aujourd’hui cantonnés à la salle Gaveau, drainent annuellement un public conquis d’avance, venu acclamer un musicien étiqueté phénomène musical dans les années 1970. Son dernier récital est malheureusement l’occasion de se poser des questions sur ce qu’il reste de phénoménal chez lui.
 

Salle Gaveau, Paris
Le 23/11/2009
Olivier BRUNEL
 



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  • Que l’on sache tout d’abord que l’on a beaucoup admirĂ© quand il est apparu sur les scènes musicales internationales le jeune Ivo Pogorelich, fraĂ®chement Ă©moulu des concours Casagrande et de MontrĂ©al et surtout du Chopin de Varsovie qu’il n’a pas remportĂ© mais dont on pense rĂ©trospectivement que la publicitĂ© crĂ©Ă©e autour de son Ă©limination par la rĂ©action vive de Martha Argerich lui a fait plus de tort que de bien.

    Et aussi que pour rien au monde on ne se séparerait de certains de ses enregistrements, notamment les DVD de concerts anciens qu’Universal a publiés bien tardivement. Le phénomène Pogorelich consistait alors en un savant dosage entre une virtuosité impeccable, une musicalité indéniable, une sonorité bien singulière, une miraculeuse dynamique dans les nuances mais aussi une certaine dose d’excentricité, particulièrement l’affectation d’un caractère réfractaire à la sympathie avec le public. Que reste t-il de cela aujourd’hui ?

    L’excentricité pour sûr, mais elle envahit un peu trop le paysage. Le public installé en avance dans la salle Gaveau a pu penser que l’accordeur était un peu en retard sur son horaire. Eh bien, non, il s’agissait du pianiste, en tenue de sport, un bonnet de ski sur la tête, en train de jouer avec une lenteur désespérante certaines phrases de sonates de Beethoven pour se chauffer les doigts !

    Dans les rapports avec son public, Pogorelich manie la carotte et le bâton. La façon de poser pour les applaudissements et les photos est étudiée pour en tirer le meilleur parti. Mais gare ! Les réprimandes fusent de façon peu cordiale si l’on s’avise de le faire en dehors des séances de pause, et cela quitte à interrompre la musique, il n’en est pas à cela près.

    Le public lui-même n’est pas celui des récitals de piano, tant qu’il soit identifiable. Une certaine partie est inconditionnelle et presque à elle seule suffirait à remplir Gaveau annuellement. Une autre, apparemment en voie d’extinction, a admiré et continue de venir en espérant que se produise l’étincelle miraculeuse qui leur ramènera le Pogorelich d’autrefois.

    Et le plus fort, c’est qu’elle se produit ! Que l’on nous pardonne ce jugement de valeur sur la musique, mais c’est pour la moins intéressante des pièces du programme, la 2e sonate de Rachmaninov, jouée avec une virtuosité impeccable, des couleurs admirables, une fougue, une rage et même un chic tout à fait à propos. Mais à un tel niveau sonore et avec si peu de cette légendaire façon de nuancer le son que l’on en sort abasourdi.

    La 4e sonate de Scriabine aurait pu mériter les mêmes éloges si Pogorelich n’accumulait des excentricités, faisant ressortir des notes de façon quasi aléatoire dans l’Andante et s’il se cantonnait à doser sa sonorité aux proportions de la salle.

    Tempi ralentis à l’extrême

    Mais cette fin de concert, il a fallu la payer cher : d’un Intermezzo op. 118 n° 2 de Brahms sec comme un coup de trique, ralenti à l’extrême et privé de sa tendresse et de ses trésors de sonorités, aussi d’une première partie consacrée à déstructurer la musique de Beethoven. La lenteur exaspérante de la partie échauffement est en fait le tempo que retient aujourd’hui Pogorelich. Faire un sort à chaque note et s’appliquer à la distorsion des appoggiatures, est-ce vouloir démontrer que Beethoven a écrit de la musique tarabiscotée ? Tout se passe comme si c’était le cas.

    L’ultime Sonate op. 111, hormis quelques fulgurances dans les dernières variations de l’Arietta, n’y résiste guère. La bagatelle Für Elise n’est pas que l’on sache une marche funèbre mais une charmante page d’album dont on pensait qu’elle était programmée entre deux sonates pour détendre l’atmosphère.

    On comprend mieux ainsi la présence de la partition et de la tourneuse de page : impossible de jouer par cœur à un tel tempo, ce serait le trou de mémoire garanti. Même sort pour la Sonate à Thérèse, démontée, dévissée, dont ne reste presque plus une phrase ayant du sens et pendant laquelle on n’avoue n’avoir pensé qu’aux esquimaux de l’entracte…

    Rentré chez soi, on se demande si l’on a rêvé et on éprouve le besoin de vérifier en écoutant une 2e suite anglaise et quelques Scarlatti filmés en 1986-1987. Il n’y pas de doute, ce n’est pas le même homme, pas le même pianiste ; c’est un fantôme du phénomène Pogorelich que l’on a vu ce soir à Gaveau.




    Salle Gaveau, Paris
    Le 23/11/2009
    Olivier BRUNEL

    RĂ©cital du pianiste Ivo Pogorelich Ă  la salle Gaveau, Paris.
    Ludwig van Beethoven (1770-1827)
    Sonate pour piano n° 32 en ut mineur op. 111
    FĂĽr Elise, bagatelle en la mineur, WoO. 59
    Sonate pour piano n° 24 en fa# majeur op. 78
    Johannes Brahms (1833-1897)
    Intermezzo op. 118 n° 2
    Alexandre Scriabine
    Sonate pour piano n° 4 en fa# mineur op. 30
    Sergei Rachmaninov (1873-1943)
    Sonate pour piano n° 2 en sib mineur op. 36

    Ivo Pogorelich, piano

     


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