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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Première à l’Opéra de Paris de la Somnambule de Bellini mise en scène par Marco Arturo Marelli et sous la direction d’Evelino Pidò.
Natalie impératrice
Royale, impériale même, Natalie Dessay domine à tous égards la production de La Somnambule créée au Staatsoper de Vienne en 2001 et importée à la Bastille. Le jeune ténor Javier Camerana lui donne une solide réplique, mais la Diva plane au-dessus de tout le monde sous la baguette diablement experte et inspirée d’Evelino Pidò.
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L’ère Joel à l’Opéra de Paris semble bien se confirmer comme celle des grandes voix. Après l’éclatante distribution de la Ville morte, le retour triomphal de Marcelo Alvarez dans Andrea Chénier, l’incroyable Werther de Jonas Kaufmann, c’est à Natalie Dessay de rappeler qu’au théâtre lyrique, l’émotion vient d’abord et avant tout des voix, même si le théâtre y a son importance.
Comme une vraie star de cinéma peut porter à elle seule tout un film – c’est elle dont on attend le retour dès qu’elle n’est plus à l’image – comme une grande Étoile de la danse galvanise tout un Corps de ballet – Agnès Letestu vient encore de le prouver dans la Dame aux camélias –, une cantatrice de première grandeur peut faire tout oublier quand la magie de la voix opère.
N’est-ce pas ainsi que certaines des Tosca, des Aïda ou des Brünnhilde de légende ont marqué les esprits dans un contexte théâtral parfois hasardeux et gommé aujourd’hui des mémoires ? Quand on a tout, c’est bien mieux, mais il faut avouer qu’une Somnambule sans une titulaire du rôle vraiment excitante aurait du mal à tenir la distance, même avec les trouvailles les plus perverses du Regietheater.
Ici, point de perversité dans l’approche scénique gentiment décalée dans le temps de cette production signée pour les décors et éclairages aussi par Marco Arturo Marelli. La petite auberge de village est devenue un grand hôtel de quelque station de montagne années 1950, et ce n’est pas un mouchoir mais une chaussure que Lisa perd dans la chambre de Rodolfo.
Peu importe, car le décor, dans son gigantisme, a de l’allure et du style. Et surtout, chaque interprète s’efforce de jouer autant que faire se peut, pour rendre crédibles des personnages assez linéaires, il faut bien le reconnaître. Marie-Adeline Henry confirme en Lisa la méchante un vrai potentiel vocal et dramatique. Le jeune Mexicain Javier Camarena, en dépit d’un physique assez ingrat mais peu gênant dans ce rôle d’amoureux borné et balourd, est un Elvino à la voix elle aussi plus que prometteuse, déjà bien en place, timbre chaleureux et belle maîtrise du phrasé et des nuances.
Michele Pertusi a de l’allure en Comte Rodolfo qui renouerait volontiers avec le droit de cuissage ancestral mais sait quand même rester un gentilhomme, et Cornelia Oncioiu parvient à donner un vrai relief au rôle ingrat de la mère. Evelino Pidò, ce n’est pas une surprise, mène l’ensemble avec autant de science que de goût, d’enthousiasme et de style, trouvant les équilibres les plus miraculeusement exacts entre voix et fosse. De surcroît, il a tout le temps l’air de s’amuser.
Et malgré tout, on serait tenté de dire que c’est chaque intervention d’Amina que l’on attend. Voix parfaitement en place du grave à l’aigu, leçon de vrai chant bellinien, brio, abattage vocal et scénique, la Dessay se joue de toutes les difficultés du rôle, fascine, émeut, et habite son héroïne sans jamais sombrer dans la mièvrerie, avec ce léger second degré dans le mélodrame qui n’ôte rien à la sincérité mais garde les choses à leur juste mesure.
Un régal, jusqu’à l’ultime tableau où la gentille et timide soubrette se transforme en un clin d’œil en super diva romantique embijoutée et de rouge vêtue, évoluant en triomphatrice devant une copie du rideau de Garnier ! Cela aussi, tout le monde n’est pas capable de l’assumer avec autant d’intelligence et de classe.
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