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CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Rienzi de Wagner mise en scène par Philipp Stölzl et sous la direction de Sebastian Lang-Lessing à la Deutsche Oper de Berlin.
Le tronc de Rienzi
© Bettina Stoess im Auftrag der DEUTSCHEN OPER BERLIN
Encore rare sur les scènes, y compris en Allemagne, Rienzi connaît une sorte de renaissance ces dernières années (Leipzig 2007, Brême 2008, dans une mise en scène de Katharina Wagner). Le Deutsche Oper de Berlin en propose une nouvelle production qui met en parallèle l’ascension du dernier tribun avec celle du IIIe Reich, mais pèche par sa réalisation et un nombre ahurissant de coupures.
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Grand opéra en cinq actes, habituellement sous-estimé car considéré par Wagner lui-même comme une erreur de jeunesse, Rienzi est tombé dans l’oubli après la Première Guerre Mondiale, notamment en raison de l’exclusion du canon bayreuthien composé des dix opéras du Vaisseau fantôme à Parsifal. L’ouvrage, dont Hans von Bülow disait qu’il était « le meilleur opéra de Meyerbeer », traite du personnage historique Cola di Rienzo (1313-1354) qui, inspiré par les écrits de l’antiquité, vise à restaurer la République romaine.
Dans sa mise en scène pour la Deutsche Oper, Philipp Stölzl, réalisateur de vidéos musicales et longs métrages pour le cinéma, traite Rienzi comme une allégorie de l’ascension et de la chute d’Hitler, et plus généralement des totalitarismes du XXe siècle. Un parti pris légitime : d’abord, le livret permet ce détournement au vu des parallèles apparents, bien plus en tout cas que celui des Maîtres chanteurs ou de Parsifal ; et puis il y a un lien direct avec Hitler qui déclarait en référence à une représentation de l’opéra vue à Linz en 1906 : « à cette heure de l’Histoire, tout commençait. » Malheureusement, si le postulat de base est convaincant, la réalisation tombe dans presque tous les travers qu’une telle adaptation peut présenter.
Ainsi, Rienzi doit sans cesse imiter des discours pantomimes et manque sa cible en ressemblant de par sa gestuelle plus à un guide touristique au sourire figé qu’à un dictateur tenant ses masses par sa simple parole. Au niveau de la direction d’acteurs, le traitement du chœur – fondamental dans l’ouvrage – avec ces rituels géometriques pendant les discours du tribun, trahit une maladresse qui plonge l’ensemble des scènes chorales dans un profond ennui. Le fait que Rienzi ressemble tantôt à Hitler, tantôt à Staline, tantôt par son allure générale et son tour de taille gigantesque à un Hermann Göring qui semble promettre la terre promise d’Österlich du Dictateur de Chaplin, ne contribue pas non plus à la crédibilité du travail scénique.
Pour ce qui est du texte musical, l’œuvre doit plus à Bellini qu’au Grand Opéra que Wagner connaissait encore mal en entamant la composition, même si la structure en cinq actes, l’encadrement des numéros par des scènes de masses suivent bien la tradition française. En analysant la partition, on trouve maints passages qui annoncent les scènes chorales de Tannhäuser, les sonorités lustrées de Lohengrin, et même une préfiguration du réveil de Brünnhilde dans l’introduction au cinquième acte.
Malgré ces réelles qualités musicales, les représentations de Rienzi ont toujours été victimes de coupures massives. Aussi, le fait que la partition originale a disparu en avril 1945 dans les ruines de la Chancellerie de Berlin n’a jamais aidé à une reconstitution vraiment fidèle de la version originale de Dresde. En revanche, l’excellente édition critique de Reinhard Strohm et Egon Voss disponible depuis 1977 permet une bonne vue d’ensemble de l’opéra dans sa forme initiale. Et pourtant, Philipp Stölzl nous présente une version qui dure moins deux heures trente sans pause, une broutille par rapport aux six heures de la création de 1842 et aux trois heures trente de l’enregistrement de référence de de 1976 par Heinrich Hollreiser.
Du corps musical de Rienzi ne reste donc dans cette nouvelle mouture qu’un tronc, sans jambes ni bras ni tête, qui oblige le pauvre Torsten Kerl à chanter le rôle-titre, écrasant, pratiquement sans interruption. Le ténor remplit par ailleurs sa tâche avec les honneurs, même s’il lui manque la stature et le volume d’un rôle qui a au fond déjà tout du Heldentenor.
Le reste de la distribution est de très belle qualité : Kate Aldrich excelle dans le rôle travesti d’Adriano, Camilla Nylund est une bonne Irene, tandis qu’Ante Jerkunica (Steffano Colonna) et Krzysztof Szumanski (Paolo Orsini) donnent toute leur noblesse à leurs emplois de chefs de familles aristocratiques. Lenus Carlson, membre de la troupe du Deutsche Oper depuis des lustres, maîtrise le Cardinal Orvieto avec une assurance remarquable. Parmi les petits rôles, on retiendra avant tout le ténor magnifiquement léger de Clemens Bieber (Baroncelli).
La direction de Sebastian Lang-Lessing est solide mais sans éclat, trop appuyée, non dénuée d’emphase voire d’une épaisseur qui, si elle convient plutôt aux scènes de foule, anéantit toutes les subtilités de la partition. Seule réelle source de satisfaction, la prestation des chœurs, préparés par l’incomparable William Spaulding, d’une précision et d’une homogénéité allant de pair avec une expression dramatique digne d’un chœur à l’antique.
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Deutsche Oper, Berlin Le 24/01/2010 Hermann GRAMPP |
| Nouvelle production de Rienzi de Wagner mise en scène par Philipp Stölzl et sous la direction de Sebastian Lang-Lessing à la Deutsche Oper de Berlin. | Richard Wagner (1813-1983)
Rienzi, Grand opéra en cinq actes (1842)
Poème de Richard Wagner d’après le roman d’Edward Bulwer-Lytton Rienzi ou le dernier des Tribuns
Chœur et Orchestre du Deutsche Oper Berlin
direction : Sebastian Lang-Lessing
mise en scène : Philipp Stölzl
décors : Ulrike Siegrist, Philipp Stölzl
costumes : Kathi Maurer, Ursula Kudrna
vidéo : fettFilm, Momme Hinrichs, Torge Møller
préparation des chœurs : William Spaulding
Avec :
Torsten Kerl (Rienzi), Camilla Nylund (Irene), Ante Jerkunica (Steffano Colonna), Adriano (Kate Aldrich), Krzysztof Szumanski (Paolo Orsini), Lenus Carlson (Cardinal Orvieto), Clemens Bieber (Baroncelli), Stephen Bron (Cecco del Vecchio), Gernot Frischling (double de Rienzi). | |
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