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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Récital Chopin du pianiste Krystian Zimerman à la salle Pleyel, Paris.
La magie du toucher
Rendez-vous incontournable avec Krystian Zimerman en ce début d’année Chopin. Toujours aussi exceptionnel, alliant sensibilité extrême, virtuosité fulgurante et sens du mystère poétique, le grand pianiste polonais a donné à la salle Pleyel une vision personnelle et envoûtante de pages majeures du compositeur avec un sens de l’analyse et un toucher sans pareils.
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Un nocturne, un scherzo, la Barcarolle et les Deuxième et Troisième Sonates, ce n’est presque rien dans l’abondante œuvre de Chopin, et c’est en même temps quasiment tout. Car chacune de ces pages, surtout jouée avec autant d’inspiration et d’exactitude d’analyse, est un aspect différent et complémentaire de ce que nous a laissé ce créateur à la fois si emblématique de son époque et si marginal par rapport aux autres romantiques.
Initié par John Field, le nocturne est une forme nouvelle que Chopin va traiter vingt-et-une fois, en en fixant ainsi les données définitives. Pièce prêtant au rêve, deux parties lentes encadrant en principe un passage plus agité, c’est une forme libre, où le piano peut chanter, méditer, laisser courir son imagination. Composé par un Chopin de 20 ans, le Nocturne en fa# majeur op. 15 est un tableau poétique dont le charme irrésistible dans sa délicate nostalgie est traduit par les doigts de Zimerman avec toute la palette des couleurs irradiantes de certains tableaux de Turner.
La Deuxième Sonate, sauf sa marche funèbre traitée comme une méditation ombreuse mais sans larmoiements, est abordée comme une lutte contre les forces obscures, rageuse, rude, dont la violence est compensée par la richesse d’une sonorité miraculeuse. Il ne s’agit plus ici de Turner – encore que… – mais plutôt de certains cauchemars à la Delacroix.
Et puis, c’est le tour du Deuxième Scherzo, encore un tout autre univers, celui de la pièce de concert brillante, avec ses contrastes d’écriture entre fluidité et martèlements, affirmations et interrogations. Du superbe piano virtuose de la pleine maturité, sans doute le plus équilibré et classiquement structuré des quatre Scherzi. Ici encore, toucher de rêve, accentuation imaginative, tempi parfaits et fascinante fluidité des traits.
C’est la Troisième Sonate qui ouvre ensuite la deuxième partie. Chevauchée fantastique du Finale s’il en est, précédée de cet incroyable Largo à la Bellini, tour à tour méditatif et lyrique, traité avec un phrasé souple, varié, un toucher ferme et doux, distillant des sonorités impalpables et pourtant bien présentes.
Du piano orchestral, c’est en partie vraie, mais pas du tout à la Liszt, l’effet sonore n’étant jamais prioritaire, le déroulement pur de la ligne musicale – on voudrait écrire de la ligne de chant – restant la préoccupation majeure, même dans les passages les plus chargés de traits et d’accords, l’art de Zimerman permettant justement de ne jamais en perdre le fil, y compris dans les torrents de notes du Finale.
Et puis, pour finir, retour à une autre forme d’écriture plus sobre, celle de la Barcarolle des toutes dernières années, où le langage s’est épuré, envahi par un tourment intérieur, un spleen résigné avec lequel la richesse d’une virtuosité excessive serait contradictoire. L’impression que la boucle est bouclée, que bientôt, il n’y aura plus rien à dire de plus.
Quel voyage sollicitant aussi bien notre sensibilité que notre réflexion Krystian Zimerman nous aura fait accomplir ! Et quel toucher magique !
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Salle Pleyel, Paris Le 01/03/2010 Gérard MANNONI |
| Récital Chopin du pianiste Krystian Zimerman à la salle Pleyel, Paris. | Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en fa# majeur op. 15 n° 2
Sonate n° 2 en sib mineur op. 35
Scherzo n° 2 en sib mineur op. 31
Sonate n° 3 en si mineur op. 58
Barcarolle en fa# majeur op. 60
Krystian Zimerman, piano | |
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