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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Roland Aeschlimann et sous la direction de John Fiore au Grand Théâtre de Genève.
Parsifal sous hypnose
C’est dans un quasi état de conscience modifiée que l’on pouvait ressortir du Grand Théâtre de Genève à l’issue de cette reprise du Parsifal de Roland Aeschlimann. Scénographie d’une beauté à couper le souffle, sens du rite et du sacré, une véritable plongée sous hypnose, rendue possible grâce à la direction extatique de John Fiore.
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Rares sont les occasions de ressortir d’une représentation lyrique avec un tel sentiment de plénitude et de sérénité, en s’étant abandonné à une atmosphère, à un mystère aussi porteurs. À condition de se laisser aller, d’oublier les turpitudes du monde extérieur, le Parsifal de Roland Aeschlimann est l’occasion rêvée d’une expérience rituelle, délivrée par un hypnothérapeute de génie.
Le spectacle existe avant tout par sa scénographie aux sublimes éclairages bleutés abolissant grâce à un tulle toute notion d’espace, et notamment par des décors à même de permettre une évasion initiatique. Avec un visuel clairement dans la mouvance post-wielandienne, Aeschlimann présente des tableaux d’une suffocante beauté.
On ne sait que louer le plus du cérémonial de la Cène, avec son immense vortex ouvrant sur un Graal en prisme lumineux, de l’univers de Klingsor où le négatif du vortex en rotation piégerait le plus endurci des chevaliers, ou encore du jardin enneigé dévoilant à la célébration du Vendredi saint les statuettes de Bouddha d’un jardin zen.
Pour transcender ce spectacle dépouillé jusqu’à l’épure, on ne pouvait imaginer plus adapté que la battue contemplative de John Fiore, qui opère des prodiges de dégraissage, de maîtrise du volume, d’aération et de structuration des textures, de justesse dans la verticalité des accords, de sobre solennité dans chaque figure rythmique et tenue des vents, de continuité dans le flux sonore et narratif. On peut évoquer dans les mêmes termes la prestation des chœurs, malgré une réelle hétérogénéité des vibratos masculins.
Dans un geste parfois très lent mais en parfaite cohérence avec le visuel, le chef américain choie du mieux possible des chanteurs ainsi aptes à donner la primauté au texte sans jamais avoir à le forcer. Si l’on ajoute que le II, d’une amertume sourde, offre quelques fulgurances judicieusement placées, on peut penser que rarement scène et fosse auront été à ce point en osmose dans l’ultime ouvrage wagnérien.
Si l’endurance de Wotan l’a souvent vu à court de projection et encombré de certaines nasalités, le métal noir d’Albert Dohmen, parfois un rien monochrome, fait merveille en Gurnemanz déclamé avec aplomb et une grandeur sereine qui n’est que majesté et dévotion. Au demeurant, il n’y a qu’à voir la manière dont, visiblement souffrant, profitant des silences pour tousser ou s’éponger le front, il gravit les phrases les plus amples du III avec une longueur du souffle qui lui permet un mi aigu bouleversant de plénitude.
Au moins autant qu’à Bayreuth, Detlef Roth prouve sur l’ensemble du rôle d’Amfortas qu’il n’en a pas la voix, l’élégie seule lui donnant l’occasion d’exhiber ses qualités musicales, où son baryton clair peut à loisir développer un legato, une souplesse, alors que les colères du roi maudit accusent nettement les limites d’un instrument trop léger.
Aux côtés de Filles-Fleurs aux charmes variables, de la jolie corolle au pistil toxique, Lioba Braun n’est pas la plus convaincante des Kundry, dont l’émission tubée, aux raucités fabriquées, cantonne par trop le personnage à la sauvageonne. Toutefois, le jeu de la séduction la voit s’efforcer d’arrondir les angles, de chanter clair, de nuancer la ligne, jusqu’à des aigus étonnamment féminins.
Le Parsifal miraculeux de Klaus Florian Vogt
Enfin, au moment d’évoquer le Parsifal de Klaus Florian Vogt, arrêtons-nous un instant pour attester d’un véritable miracle. Miracle d’un physique, d’une beauté des traits faisant absolument illusion en jeune fol, miracle aussi d’une voix à l’avenant, d’un timbre adolescent, d’une lumière immaculée convenant à merveille à la jeunesse du rôle, à ses absences, à son abstraction même.
Miracle enfin d’une réinvention de la vocalité wagnérienne à chaque mesure, le ténor osant des nuances qu’on avait crues purement idéalistes, à la manière d’un évangéliste de passion, avec une humilité de petit garçon dans la prière, murmurée à tirer des larmes, un sens du sacré et de l’impalpable – la rupture de la malédiction, l’extase du Vendredi saint – d’une radiance absolument inouïe.
Avec cette diction limpide comme une eau de baptême, ce phrasé sage, presque ignorant, aplani jusqu’à la naïveté, Vogt pourrait bien être l’incarnation majeure d’un rôle souvent confisqué par des formats exagérément lourds, et saisit l’occasion pour s’illustrer seul représentant d’une nouvelle race : le ténor blond. Il n’est pas donné souvent, dans une vie de critique, d’assister à une révélation aussi fondamentale, de surcroît le jour même où Wolfgang Wagner rend son dernier souffle à Bayreuth.
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Grand Théâtre, Genève Le 21/03/2010 Yannick MILLON |
| Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Roland Aeschlimann et sous la direction de John Fiore au Grand Théâtre de Genève. | Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal, festival scénique sacré en trois actes (1882)
Livret du compositeur
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Chœur Orpheus de Sofia
Orchestre de la Suisse romande
direction : John Fiore
mise en scène et décors : Roland Aeschlimann
costumes : Susanne Raschig
éclairages : Lukas Kaltenbäck
chorégraphie : Lucinda Childs
préparation des chœurs : Ching-Lien Wu & Krum Maximov
Avec :
Detlef Roth (Amfortas), Hans Tschammer (Titurel), Albert Dohmen (Gurnemanz), Klaus Florian Vogt (Parsifal), Andrew Greenan (Klingsor), Lioba Braun (Kundry), Fabrice Farina (Premier chevalier du Graal), Wolfgang Barta (Deuxième chevalier du Graal), Émilie Pictet (Premier Écuyer), Kristen Leich (Deuxième Écuyer), Erland Tvinnereim (Troisième Écuyer), Bo Zhao (Quatrième Écuyer), Thora Einarsdottir, Hjördis Thébault, Monique Simon, Sibyl Zanganelli (Filles-Fleurs). | |
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