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CRITIQUES DE CONCERTS 23 avril 2024

Reprise des Dialogues des Carmélites de Poulenc mis en scène par Gilles Bouillon, sous la direction de Jean-Yves Ossonce, au Grand Théâtre de Tours.

Dialogues limpides

Créée à l’occasion du centenaire de la naissance de Francis Poulenc, le production des Dialogues des Carmélites signée Gilles Bouillon touche à la grâce en dépassant le contexte historique de la nouvelle de Gertrud von Le Fort adaptée par Bernanos. Fort d’une distribution à l’élocution miraculeuse, Jean-Yves Ossonce privilégie une concision dépouillée.
 

Grand Théâtre, Tours
Le 26/03/2010
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Avant que d’être Ă©minemment personnel, l’idiome de Francis Poulenc est absolument français. Ses Dialogues des CarmĂ©lites, adaptĂ©s par Bernanos d’une nouvelle allemande pour un film qui finalement ne se fit pas, n’en ont pas moins Ă©tĂ© crĂ©Ă©s Ă  la Scala de Milan, et en italien. Sans doute faut-il y voir la raison pour laquelle les tessitures vocales lorgnent Ă  ce point Verdi et Puccini. Dans sa lettre du 5 septembre 1953, alors que la composition est Ă  peine esquissĂ©e, Pierre Bernac, interprète fĂ©tiche de ses mĂ©lodies et conseiller très spĂ©cial en matière de vocalitĂ©, n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins.

    Ainsi, pour Madame de Croissy : « Reprenez vos partitions d’AĂŻda et du Trouvère et regardez bien les rĂ´les d’AmnĂ©ris et d’Azucena, et vous serez Ă©difiĂ© sur les possibilitĂ©s d’un vrai contralto italien. Â» En ce qui concerne Madame Lidoine : « Vous faites, je crois, de Prieure II un soprano lyrique : AĂŻda, Mimi. Â»

    Les choses se compliquent avec Mère Marie, pour laquelle Poulenc songe Ă  « un soprano lyrique, un peu sec, genre Danco. Cela se dĂ©fend, mais alors, personnellement je trouve que vous n’aurez pas assez de diffĂ©rence avec la voix de Denise [Duval] qui est aussi Ă  mon avis un lyrique sec. […] Il me semble donc que Mère Marie, si vous ne la voulez pas mezzo, devrait ĂŞtre chantĂ©e par la dame qui chante Tosca, c’est-Ă -dire, grosses possibilitĂ©s dans le mĂ©dium, avec effets en poitrine, et aussi possibilitĂ© d’un aigu en force, et en piano. Â»

    AchevĂ©e, la partition n’en demandera pas moins : Madame de Croissy, contralto, Madame Lidoine, soprano, Mère Marie de l’Incarnation, grand lyrique. DĂ©finitivement donc, une AĂŻda, une AmnĂ©ris, une Tosca, mais Ă  l’élocution mieux encore qu’intelligible, naturelle, « un peu Ă  la bonne franquette Â» selon les propres mots de la nouvelle prieure, ainsi que les citait Yannick Millon dans ces colonnes en novembre dernier. Autant dire l’impossible, surtout si l’orchestre s’épanche, s’enrobe sirupeux, Ă©touffant le moine sous le voyou.

    Vertu cardinale, Jean-Yves Ossonce soigne d’abord les équilibres. Écrin idéal pour les mots, l’Orchestre symphonique Région Centre-Tours joue allant, concentré, compact, sans pour autant esquiver les élans séducteurs des alliages de timbres.

    Seule ombre au plateau, Mère Marie reflète le dĂ©saccord entre Poulenc et Bernac sur une tessiture finalement demeurĂ©e entre deux, ni tout Ă  fait mezzo, ni tout Ă  fait lyrique sec, Ă  la Danco. Comme une expression d’orgueil, Marie-ThĂ©rèse Keller possède indubitablement cette sĂ©cheresse de ton, mais celle de l’émission plus d’une fois la pousse au cri. « Vhita aurait Ă©tĂ© une Mère Marie idĂ©ale physiquement et vocalement [si elle] avait eu un vrai aigu. Â» Durant la genèse mĂŞme de l’œuvre, Bernac avait prophĂ©tisĂ© l’inĂ©vitable pierre d’achoppement.

    Marie-Ange Todorovitch assume en revanche pleinement l’extension de la prieure, ces la aigus crucifiants comme ultime refus d’une mort qui d’évidence n’est pas, n’aurait pas dû être la sienne – simplement pétrifiante.

    Blanche de la Force longtemps rêvée – sa prise de rôle, voici plus de quinze ans, fut cependant sans lendemain –, Mireille Delunsch est une Madame Lidoine évidente, qui ne chante pas les mots, mais bien plutôt dit, parle la ligne, dans un français purifié. À tel point que les obstacles de la tessiture, sur lesquels tant d’autres, d’une opulence hors de propos peut-être, ont trébuché, semblent n’avoir jamais été qu’une illusion.

    Renaissance du chant français

    Question d’idiome assurément, qui vaut pour tous, comme si un certain art du chant français, perdu, regretté, comme par miracle renaissait : le premier commissaire pervers jusqu’à la moelle d’Antoine Normand, la pétulante facilité de la Constance de Sabine Revault d’Allones, et surtout le Chevalier de la Force de Christophe Berry, d’une clarté, d’un délié inespérés, et qui n’ont rien cependant de suranné.

    Quant à Sophie Marin-Degor, elle incarne par le maintien, une distance cultivée, mieux, une tension comme subie de tout le corps, une Blanche emmurée vive dans sa peur, au souffle un rien court certes, mais artistement intégré à la prosodie. Actrice supérieure en somme, dans le sillage de Denise Duval, muse et créatrice de Poulenc.

    D’autant que la mise en scène de Gilles Bouillon n’est pas pour rien dans la bouleversante limpiditĂ© de ces Dialogues. Ă€ l’instar de Gertrud von Le Fort, dont la nouvelle Die Letzte am Schafott, publiĂ©e en 1931, se voulait l’expression de « l’horreur profonde d’un temps que recouvrait en Allemagne l’ombre des pressentiments accourus des destins en marche Â», le directeur du Centre Dramatique RĂ©gional de Tours traite le martyre des seize carmĂ©lites de Compiègne comme une parabole.

    Car lieu de silence et de prière, dont les toiles suspendues de Nathalie Holt, les lumières aveugles au monde de Michel Theuil façonnent l’espace dĂ©pouillĂ©, le Carmel est impermĂ©able au contexte historique. Et lorsque les sĹ“urs, alignĂ©es devant le mur de fond de scène comme pour ĂŞtre fusillĂ©es, s’avancent vers la mort sur le plateau nu, simplement recouvert d’un carrĂ© comme gorgĂ© de sang, l’accomplissement de leur vĹ“u projette sa lumière sur les victimes de l’oppression. De tous les temps et de tous les peuples. « On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou mĂŞme les uns Ă  la place des autres. Â»




    Grand Théâtre, Tours
    Le 26/03/2010
    Mehdi MAHDAVI

    Reprise des Dialogues des Carmélites de Poulenc mis en scène par Gilles Bouillon, sous la direction de Jean-Yves Ossonce, au Grand Théâtre de Tours.
    Francis Poulenc (1899-1963)
    Dialogues des Carmélites, opéra en trois actes et douze tableaux (1957)
    Texte de la pièce de Georges Bernanos, inspirée par une nouvelle de Gertrud Le Fort

    Chœurs de l’Opéra de Tours
    Orchestre Symphonique RĂ©gion Centre-Tours
    direction : Jean-Yves Ossonce
    mise en scène : Gilles Bouillon
    décor : Natalie Holt
    costumes : Marc Anselmi
    dramaturgie : Bernard Pico
    Ă©clairages : Alain Vincent

    Avec :
    Didier Henry (le Marquis de la Force), Sophie Marin-Degor (Blanche), Christophe Berry (le Chevalier de la Force), Léonard Pezzino (l’Aumônier du Carmel), Ronan Nédélec (le Geôlier, l’officier), Marie-Ange Todorovitch (Madame de Croissy), Mireille Delunsch (Madame Lidoine), Marie-Thérèse Keller (Mère Marie de l’Incarnation), Sabine Revaut d’Allones (Sœur Constance de Saint-Denis), Nicole Boucher (Mère Jeanne de l’Enfant Jésus), Anna Destraël (Sœur Mathilde), Antoine Normand (Premier commissaire), Yvan Saujeteau (Deuxième commissaire), Mickaël Chapeau (Thierry), Jean-Marc Bertre (Monsieur Javelinot).

     


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