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CRITIQUES DE CONCERTS 11 décembre 2024

Première Ă  l’OpĂ©ra national du Rhin de la Jenůfa de Janáček mise en scène par Robert Carsen et sous la direction de Friedemann Layer.

Je t’ai cachée avec ta honte
© Alain Kaiser

Avec une nouvelle production de l’Affaire Makropoulos Ă  Angers Nantes OpĂ©ra, une reprise de la Petite Renarde rusĂ©e Ă  la Bastille, Jenůfa hier Ă  Bordeaux, aujourd’hui Ă  l’OpĂ©ra du Rhin, Janáček est bel et bien le compositeur le plus jouĂ© dans les théâtres lyriques français en cette fin de saison. La mise en scène anthologique de Robert Carsen ne peut cependant pallier les faiblesses du plateau strasbourgeois.
 

Opéra du Rhin, Strasbourg
Le 17/06/2010
Mehdi MAHDAVI
 



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  • En reprenant sa production de Jenůfa crĂ©Ă©e en 1999 Ă  l’OpĂ©ra de Flandre sur la scène de l’OpĂ©ra du Rhin, c’est sans doute d’abord Ă  lui-mĂŞme que Robert Carsen rend justice. Parce que ses dernières mises en scène – celles du moins que nous avons vues –, jugĂ©es Ă  l’aune de certaines rĂ©alisations plus anciennes, notamment celles de sa grande Ă©poque parisienne – quand Hugues Gall confiait Ă  son savoir-faire glamorous chic les plus grandes stars du chant, RenĂ©e Fleming en tĂŞte, enchâssĂ©es dans des Ă©crins dignes de plus fastueuses productions hollywoodiennes –, n’ont pas manquĂ© de rĂ©vĂ©ler les failles d’un système esthĂ©tique et dramaturgique par trop normatif, la force, indĂ©niable, du concept autant que des images occultant trop souvent leur dimension théâtrale.

    Nous avions oubliĂ© en somme quel grand directeur d’acteurs pouvait ĂŞtre le Canadien, exaspĂ©rĂ© par le rĂ©pertoire de poses pour couvertures de magazines lissĂ©es jusqu’à la caricature par de trop ressemblantes Armide et PoppĂ©e. Quoi de moins glamour, il est vrai, que Janáček, hormis peut-ĂŞtre l’Affaire Makropoulos – Krzysztof Warlikowski est allĂ© au bout de cette logique Ă  l’OpĂ©ra de Paris –, qui poursuivra d’ailleurs le cycle initiĂ© par l’OpĂ©ra du Rhin avec cette Jenůfa ?

    Force sombre, force crue, des êtres épiés, à travers ces parois qui ne sont que portes, fenêtres, perméables donc à la rumeur de la faute qui écrase la protagoniste dans cet impossible huis clos. Tout se sait, ou du moins tout se saura, nul n’en réchappera. Carsen donne d’emblée les clés de sa lecture. Mais le compositeur, qui de la roue du moulin, obstinée, fait la voix du destin, lui laisse-t-il le choix ? Avec son décorateur Patrick Kinmonth, son fidèle éclairagiste Peter van Praet module l’espace en virtuose, le concentre, âpre, étouffant, malgré, ou plutôt à cause de ses ouvertures sur une obscurité hostile.

    Il dessine surtout des ombres, des silhouettes, des caractères écrasants, mais avec une précision rien moins que naturaliste, ou même seulement réaliste, car il s’agit là de la vérité palpable d’un quotidien tragique. C’est cela, aussi, peut-être, qui laisse la possibilité d’un lendemain – meilleur ? –, cette pluie purificatrice qui, si elle porte inévitablement la griffe d’un metteur en images de génie, est bien davantage qu’un effet facile, qu’une simple et belle image, justement.

    Et pourtant, cette Jenůfa n’étreint pas autant que celle prĂ©sentĂ©e Ă  Bordeaux le mois dernier. La mise en scène de Friedrich Meyer-Oertel, qui dĂ©veloppait un rĂ©cit plus linĂ©aire, une issue moins immĂ©diatement inĂ©luctable, n’échappait certes pas toujours Ă  un naturalisme de convention. Mais le duo formĂ© par Mireille Delunsch, signant une prise de rĂ´le exceptionnelle, et la Sacristine d’Hedwig Fassbender, portĂ© par la foudroyante concentration du geste de Karen Kamensek, touchait Ă  l’essence mĂŞme du langage unique forgĂ© par Janáček.

    À Strasbourg, la distribution se révèle par trop inégale, pour ne pas dire faible, et surtout laissée au bord du chemin par Friedemann Layer, qui dirige trop amplement symphonique un Orchestre philharmonique de Strasbourg dont il obtient une palette, des accents, des rythmes certes idiomatiques, mais uniformément tonitruants.

    Alors on s’époumone : le Ĺ teva de Fabrice Dalis, auquel la tessiture ne facilite Ă©videmment pas la tâche, d’un timbre assez incolore, tandis que le Laca de Peter Straka en oublie carrĂ©ment toute notion de chant. Il pousse, il tire, toujours contraint par ce souffle Ă  la limite de la rupture qui le condamne Ă  surjouer la maladresse. Eva Jenis prĂ©fère quant Ă  elle abdiquer au pied du mur du son. L’instrument est de toute manière trop Ă©troit et anarchique, acide et dur sous la pression pour sauver cette Jenůfa plafonnante de l’insignifiance.

    Dès lors, Nadine Secunde domine, inĂ©vitablement. Et pas seulement parce que le rĂ´le, paradoxe dĂ©moniaque, est gratifiant. Mobilisant toutes les ressources de son soprano dramatique encore spectaculairement vaillant jusque dans des aigus outrageusement vibrĂ©s, elle livre une incarnation habitĂ©e de Kostelnička. D’autres y ont imposĂ© des mots plus cinglants, une prĂ©sence plus sèchement glaçante peut-ĂŞtre, mais cette figure comme d’emblĂ©e effrayĂ©e d’elle-mĂŞme est assurĂ©ment la seule, sur la scène de l’OpĂ©ra du Rhin, Ă  se hisser Ă  la hauteur de l’effroyable tragĂ©die du quotidien narrĂ©e par Robert Carsen.




    Opéra du Rhin, Strasbourg
    Le 17/06/2010
    Mehdi MAHDAVI

    Première Ă  l’OpĂ©ra national du Rhin de la Jenůfa de Janáček mise en scène par Robert Carsen et sous la direction de Friedemann Layer.
    Leoš Janáček (1854-1928)
    Jenůfa, opĂ©ra en trois actes (1904)
    Livret du compositeur d’après la pièce Její Pastorkyña de Gabriela Preissova

    Chœurs de l’Opéra national du Rhin
    Orchestre philharmonique de Strasbourg
    direction : Friedemann Layer
    mise en scène : Robert Carsen
    décors et costumes : Patrick Kinmonth
    Ă©clairages : Robert Carsen, Peter van Praet
    dramaturgie : Ian Burton

    Avec :
    Menai Davies (Grand-mère Buryjovka), Peter Straka (Laca Klemen), Fabrice Dalis (Ĺ teva Klemen), Nadine Secunde (Kostelnička Buryjovka), Eva Jenis (Jenůfa), Russell Smythe (le contremaĂ®tre du moulin), Andrey Semskov (le Maire du village), Tatiana Anlauf (La femme du maire), Sylvia Kevorkian (Karolka), Agnieszka Slawinska (Barena), AurĂ©lie Ligerot (Jana), Brigitte Dunski (la tante).

     


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