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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Alceste de Gluck dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction d’Ivor Bolton au festival d’Aix-en-Provence 2010.
Aix 2010 (3) :
Sans ingéniosité
Face à un Rossignol aussi enchanteur qu’interrogateur et un Don Giovanni captivant d’immédiateté, la nouvelle production d’Alceste présentée au Théâtre de l’Archevêché était condamnée peut-être à faire pâle figure. D’autant que ni Christof Loy ni Ivor Bolton ne parviennent à animer le marbre gluckiste, admirablement ciselé pourtant par Véronique Gens et Joseph Kaiser.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 08/07/2010
Mehdi MAHDAVI
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La nouvelle production d’Alceste de Gluck présentée au festival d’Aix-en-Provence suscitait d’autant plus de curiosité qu’en dépit des cris d’orfraie poussés de concert par le public genevois et une majorité de nos confrères, Christof Loy était récemment parvenu, certes non sans faire entorse à la lettre du livret, à conférer à La donna del lago de Rossini une substance théâtrale inespérée. La tragédie de l’épouse du roi de Thessalie semble cependant se plier avec une moindre docilité à une conceptualisation quelque peu forcée.
Une fois n’est pas coutume, le metteur en scène part de la lettre, de l’incipit même du livret de Du Roullet : « Dieux, rendez-nous notre roi, notre père ! » Voici donc Admète et Alceste flanqués d’une flopée d’enfants, et le sacrifice ramené dans la sphère familiale. Les membres soigneusement individualisés des English Voices, par ailleurs d’une tenue musicale et linguistique exemplaire, jouent très admirablement le jeu, en culottes courtes distanciées par des têtes plus tout à fait blondes. Loy tient ainsi sa ligne jusqu’à la fin du II avec un savoir-faire certain, mais ne suscite ni interrogations dramaturgiques profondes, ni vertige théâtral.
C’est au III, lorsque l’édifice justement se fissure avec l’arrivée d’un improbable oncle d’Amérique, j’ai nommé Hercule – Thomas Oliemans, exotique jusqu’à la caricature et sans plus de qualités de timbre –, que l’Allemand livre paradoxalement sa scène la plus aboutie, tant sur le plan de la forme que de la vérité dramatique : les époux au seuil de la mort, et le lit conjugal comme un vaste cercueil. La suite malheureusement se dissout entre rêve d’enfants et réalité endeuillée, ne laissant finalement qu’une impression anecdotique.
La direction d’Ivor Bolton renforce ce sentiment jusqu’à l’ennui, voire l’indifférence. Le Freiburger Barockorchester, époustouflant dans Don Giovanni, en est méconnaissable, d’un niveau instrumental toujours supérieur, mais comme émacié et privé d’élan. Il y a bien çà et là quelques contrastes fanfaronnants, mais c’est sur le récitatif gluckiste que le chef anglais achoppe, ou plus précisément sur un aspect que John Eliot Gardiner, défenseur émérite du Chevalier, n’a pas manqué de relever : « Le problème ici n’est probablement pas le manque d’intérêt harmonique […], mais le rythme monotone et balourd de la ligne de basse qui ne peut être évité par les interprètes sans une vraie ingéniosité. »
Cette incapacité à soutenir le discours avec suffisamment de variété est d’autant plus regrettable que les interprètes du couple royal maîtrisent la déclamation à la perfection, à l’inverse du Grand Prêtre d’Andrew Schroeder, pourtant familier d’un style où il se montrait plus persuasif à la Monnaie en décembre dernier, dans Iphigénie en Aulide. C’est dans cette même production que Véronique Gens, il est vrai élevée au grain de la tragédie lullyste et ramiste, plia pour la première fois une prosodie aux contours marmoréens à son naturel distingué.
Déployant une voix à son zénith, d’une longueur et d’un velours dont elle n’a sans doute pas toujours su tenir les altières promesses, mais désormais définitivement conquis, la soprano française teinte ses accents les plus nobles d’une désarmante fragilité, portant l’intensité expressive à son paroxysme dans Divinités du Styx. Et si la véhémence de Ô Ciel ! quel supplice, quelle douleur ! l’entend plus d’une fois flirter avec ses limites, l’abbé Arnaud, champion de Gluck dans la querelle avec les piccinnistes emmenés par Marmontel, l’absout : « Alceste ne peut plus soutenir sa douleur et, pendant les quatre derniers vers, ce sont les cris aigus et déchirants qu’arrache le désespoir. »
Dans un français de rêve, châtié jusqu’à la ciselure, mais jamais figé dans sa correction, le ténor canadien Joseph Kaiser sculpte d’une émission très personnelle un Admète volontiers héroïque et constamment touchant, dont la tendre virilité renoue le lien, indispensable à tout un pan de répertoire malmené sinon oublié, entre la haute-contre et le ténor de demi-caractère.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence Le 08/07/2010 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production d’Alceste de Gluck dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction d’Ivor Bolton au festival d’Aix-en-Provence 2010. | Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Alceste, tragédie lyrique en trois actes (1776)
Livret de Ranieri de’ Calzabigi, version française sur les paroles de Marie François Louis Gand Le Blanc du Roullet.
English Voices
Freiburger Barockorchester
direction : Ivor Bolton
mise en scène : Christof Loy
scénographie : Dirk Becker
costumes : Ursula Renzenbrink
Ă©clairages : Olaf Winter
Avec :
Véronique Gens (Alceste), Joseph Kaiser (Admète), Andrew Schroeder (le Grand Prêtre d’Apollon), Thomas Oliemans (Hercule), Marianne Folkestad Jahren et Bo Kristian Jensen (deux enfants d’Alceste et d’Admète), João Fernandes (le Coryphée (Apollon)), David Greco (l’Oracle), Léa Pasquel (une jeune fille). | |
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