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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Lohengrin de Wagner mise en scène par Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2010.
Bayreuth 2010 (1) :
Au bonheur des rats
Si les rats de laboratoire du Lohengrin de Hans Neuenfels à Bayreuth alimentent la controverse, ils illustrent bien le conflit entre l’action d’une œuvre et la conception du metteur en scène plaquée dessus sans autre forme de procès, d’autant que la direction musicale ne galvanise pas un plateau sans grand relief.
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Hans Neuenfels n’est pas qu’un iconoclaste avide de provocation, et à lire ses notes d’intention, on imagine un travail scénique de qualité sur une œuvre dont il semble percevoir les principaux enjeux et le pessimisme. Nombre de ses idées pertinentes ne l’empêchent pourtant pas de sombrer dans une forme d’impasse, quoi qu’il affirme sur Wagner – « sa musique est une musique conceptuelle » avec « ses techniques de stratification et de déstratification ».
C’est peut-être là le problème : il faut décrypter en permanence plusieurs récits superposés mais étrangers ; ainsi les films d’animation – d’ailleurs pas inintéressants – viennent-ils soit lourdement souligner la situation, soit illustrer un concept parasitant l’intrigue. Les personnages semblent presque toujours engloutis par le dispositif conceptuel, et la vie théâtrale s’efface devant les expérimentations du metteur en scène.
D’ailleurs, le Lohengrin de Neuenfels, plus que de laboratoire, a des allures de grand magasin : on y trouve à peu près tout ce qu’on veut. Le cygne du I est le logo de cette grande distribution conceptuelle à laquelle se livre le metteur en scène : laqué ou pas loin de l’être sous un cercle lumineux à mi-chemin entre une rôtissoire géante et une auréole christique mâtinée de Rencontre du troisième type, il fait partie d’une galerie commerciale qui énumère les best-sellers du rayon librairie – Pavlov et son réflexe, Orwell et son Big Brother –, les faïences du rayon salle de bains – le cygne du II –, les nouveautés du rayon textile – combinaisons technologiques des rats ou tenues Club Med’ des dames au mariage –, les fonds de tiroir du rayon disques – robe noire et robe blanche du Lac des cygnes au II – sans oublier l’alimentation, avec diverses volailles – dont l’aigu d’Ortrud – ; le sommet demeurant peut-être la charcuterie – les chipolatas de cordon ombilical que le jeune héritier fœtal jette sur ses Brabançons anéantis au tomber de rideau.
La logorrhée wagnérienne, il est vrai, supporte à peu près toutes les interprétations, et pourquoi pas les rats, prétendument kafkaïens, comme métaphore de la recherche de l’utopie, même s’ils font souvent rire la salle par leurs maladresses ? Peut-être parce que le résultat semble vraiment artificiel, intellectuel, dictatorial. Si les idées tiennent la route, les images fortes sont désamorcées par le décalage avec l’action, tel l’œuf final, en soi bien vu, mais qui forcément après le cygne déplumé prête à sourire, ou Lohengrin bénissant une Elsa battant des bras comme pour s’envoler à la fin du II.
Si encore la distribution incarnait le drame humain, cela pourrait passer. Mais entre une Elsa jolie de timbre, appliquée mais bien neutre, n’osant ni les nuances, ni la fragilité, une Ortrud investie mais vociférante, à mi-chemin entre un aigu piaillé ou hurlé et des graves de poissonnière, un Telramund veule et sans blessure, et un Lohengrin désespérément gris – qu’on nous permette une voix discordante dans le concert de louanges de la tête de gondole Jonas Kaufmann, qui malgré un aigu facile, un grand engagement théâtral, et l’intelligence musicale de murmurer dans une salle qui le permet, ne prodigue qu’un timbre souvent bouché et sans jeunesse, possible en Siegmund mais difficile en Chevalier au cygne –, c’est presque le Roi Heinrich névrotique de Georg Zeppenfeld qui tirerait son épingle du jeu.
Heureusement, et malgré une tenue très inégale, la direction d’Andris Nelsons sait exploiter l’acoustique de Bayreuth pour souligner l’orchestration en mixtures d’orgue de la partition, notamment dans les préludes des I et II. Les changements de climat font l’objet d’un soin particulier et l’énergie afflue parfois d’une manière fulgurante au cœur d’une matière orchestrale fusionnelle. En revanche, les scènes de foule sont fréquemment abandonnées au bon vouloir de l’orchestre, avec des cuivres un peu gras et une mise en place approximative.
En somme, c’est bien cet asynchronisme qui sabote le spectacle : la superposition du concept et de l’action oblige la pensée du spectateur à des contorsions qui sapent l’illusion théâtrale au sens le plus large. Étonnant de voir comment le théâtre de Brecht, en rejetant cette illusion, demeurait au fond plus efficace que bien des élaborations sophistiquées de notre époque, peut-être simplement parce qu’il n’avait pas peur du concret.
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Festspielhaus, Bayreuth Le 06/08/2010 Thomas COUBRONNE |
| Nouvelle production de Lohengrin de Wagner mise en scène par Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2010. | Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin, opéra romantique en trois actes (1850)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Andris Nelsons
mise en scène : Hans Neuenfels
décors & costumes : Reinhard von der Thannen
Ă©clairages : Franck Evin
vidéo : Björn Verloh
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Georg Zeppenfeld (König Heinrich), Jonas Kaufmann (Lohengrin), Annette Dasch (Elsa), Hans-Joachim Ketelsen (Friedrich von Telramund), Evelyn Herlitzius (Ortrud), Samuel Youn (Heerufer des Königs), Stefan Heibach (1. Edler), Willem van der Heyden (2. Edler), Rainer Zaun (3. Edler), Christian Tschelebiew (4. Edler). | |
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