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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2010.
Bayreuth 2010 (2) :
Parsifal aux anges
Réussite confirmée pour le Parsifal de Stefan Herheim et Daniele Gatti à Bayreuth, hors du temps et conjuguant virtuosité sans faille de la réalisation et richesse de la conception. La preuve qu’un metteur en scène débordant d’idées peut laisser de l’espace à une œuvre s’il sait écouter la musique et faire confiance à l’action.
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Nous avons signalé dans ces colonnes à propos du Lohengrin de Hans Neuenfels le conflit fréquent entre les vues des metteurs en scène et le contenu des opéras ; mais autant l’approche dogmatique de Neuenfels écrasait l’action, autant la lecture de Stefan Herheim, tout aussi personnelle, laisse respirer une œuvre qu’elle éclaire sans jamais la contraindre, dans une scénographie contre l’air du temps de toute beauté qui exploite à merveille la fantastique machinerie de Bayreuth.
La profusion des degrés de lecture, l’imbrication presque obsessionnelle des motifs, des situations, des résurgences, des personnages imprime à l’ensemble du spectacle une cohérence absolue en même temps qu’un mystère sans lequel, peut-être, la conception pourrait sembler appuyée.
Comme tout ce qui est redondant ici relève d’une poétique de la psychologie des profondeurs – le déchirement de la naissance pour la mère et l’enfant, l’amour forcément incestueux, l’être fragmentaire et incomplet, l’attrait pour le néant –, la signification du dernier opéra de Wagner semble s’élargir et gagner véritablement sa portée universelle et transcendantale.
Il ne s’agit plus vraiment de décrypter si toute l’intrigue est ici un fantasme de l’enfant Parsifal, esseulé après la mort de sa mère, si la grâce ne peut être trouvée qu’en renonçant aux chimères de l’égo du pouvoir, ou si l’action n’est qu’un miroir des soubresauts de l’histoire allemande de Wagner à nos jours : la fable de Parsifal est tout cela et bien d’autres choses encore.
Cette dernière donnée historique est d’ailleurs admirablement traitée de manière chronologique au fil de la représentation, et de l’âge d’or d’avant 1900 – la société du Graal frivole et angélique – aux haines à peine voilées du Bundestag, cette peinture de l’Allemagne vue depuis le Festspielhaus synchronisée à l’action principale ne se relâche qu’au Vendredi Saint – car la grâce et la compassion ne sont d’aucune époque.
Dès le prélude, la lecture sociale montre bien comment la rédemption n’est affaire ni de religion, ni de science, ni de pouvoir, et l’impuissance du prêtre, du médecin et du politique – ici incarné par Gurnemanz, membre d’un triumvirat qui peut évoquer les protagonistes du Salò de Pasolini – à accomplir quoi que ce soit d’autre que des génuflexions mondaines consacre la distance entre ces trois sphères et l’individu, l’être humain qu’elles entendent soulager.
Dans la fosse, Daniele Gatti modèle une pâte sonore distendue, en apesanteur, hors du temps, qui exhale un sentiment d’éternité parfaitement en accord avec le climat délétère et régressif de la mise en scène, comme si toute vie ne procédait qu’à regret.
La sainteté, pénitente et maladive, n’atteint que rarement une sérénité tranquille, et toujours à des moments significatifs : le matin d’innocence du début du I, le jardin de Klingsor pas plus diabolique qu’une simple sieste crapuleuse où l’on oublie de se torturer, le miroir du monde tendu au public à la fin du III comme une question pleine d’espoir, et l’on a l’impression d’une immense symphonie de chorals funèbres de cuivres.
Parfaitement virginal et d’une naïveté vocalement palpable, Christopher Ventris a la limpidité et la fraîcheur d’un Parsifal également capable d’héroïsme ; la Kundry de Susan Maclean, voix inégale, intonation variable, oscille avec engagement entre la fausse coquette au I et la pénitente déchirée au III, avec de beaux élans de séduction et quelques éclats criés au II.
Detlef Roth, toujours un peu juste dans les accès pathétiques d’Amfortas, reste extrêmement musicien, tandis que Thomas Jesatko feule un Klingsor encore repoussant, et que Kwangchul Youn continue de feindre la voix monumentale au détriment de l’humanité d’un personnage pourtant très fouillé par la mise en scène. Mais que pèsent quelques réserves individuelles face à tant d’intelligence humaine et musicale ?
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Festspielhaus, Bayreuth Le 07/08/2010 Thomas COUBRONNE |
| Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2010. | Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal, BĂĽhnenweihfestspiel en trois actes (1882)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Daniele Gatti
mise en scène : Stefan Herheim
décors : Heike Scheele
costumes : Gesine Völlm
Ă©clairages : Ulrich Niepel
vidéo : Momme Hinrichs & Torge Møller
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Detlef Roth (Amfortas), Diógenes Randes (Titurel), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Christopher Ventris (Parsifal), Thomas Jesatko (Klingsor), Susan Maclean (Kundry), Arnold Bezuyen (1. Gralsritter), Friedemann Röhlig (2. Gralsritter), Julia Borchert (1. Knappe), Ulrike Helzel (2. Knappe), Clemens Bieber (3. Knappe), Willem van der Heyden (4. Knappe), Julia Borchert, Martina Rüping, Carola Gruber, Christiane Kohl, Jutta Maria Böhnert, Ulrike Helzel (Klingsors Zaubermädchen), Simone Schröder (Eine Altstimme). | |
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