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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger sous la direction de Bertrand de Billy au festival de Salzbourg 2010.
Salzbourg 2010 (1) :
Sur des charbons Ardant
Œuvre trop rare au concert, la Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger et Claudel trouve en Fanny Ardant une héroïne inspirée et en Bertrand de Billy et son Orchestre du RSO Wien un merveilleux instrument. Un rien d’affèterie et surtout un français artificiel font malheureusement une ombre à un tableau malgré tout enthousiasmant.
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En marge d’un Ivan le terrible avec Gérard Depardieu en récitant, cette Jeanne d’Arc au bûcher avec Fanny Ardant confirme que Salzbourg aime les stars, jusque dans des œuvres rares ou marginales, qui drainent ainsi peut-être un public plus nombreux et gagnent en impact médiatique dans la programmation.
C’est au fond un bon calcul, et si dans le cas présent l’actrice n’a pas tout à fait la simplicité et la candeur exigées par ce texte difficile, elle propose du moins, loin d’une enfant, une interprétation illuminée et personnelle, touchante par la flamme et l’élégance fragile plus que par la pureté ou l’humanisme ramassé du poème de Claudel.
À ses côtés, Jean-Philippe Lafont campe un Frère Dominique tout en sobriété et en naturel, d’une diction merveilleuse, et pour le coup d’une piété parfaitement modeste, qui pourrait faire de l’ombre à la star si la foi de Jeanne ne justifiait pas une exaltation sophistiquée, toutefois délicate à gérer dans les passages les plus mesurés, où l’on perçoit une plus grande peine à rythmer et à soutenir la voix.
Les autres récitants, aux prises avec la même difficulté, notamment dans les passages parodiques des animaux et du jeu de cartes, s’efforcent de trouver de l’humour sans vraiment atteindre ni la légèreté ni l’objectivité cynique qui justifient ces scènes dans l’économie de l’action ; mais il est vrai que cet équilibre subtil est toujours le nœud de la complexité des œuvres du poète.
Tirant sont épingle du jeu avec un naturel, une classe et un caractère confondants, Gilles Ragon confirme sa grande intelligence musicale, littéraire et théâtrale, et toutes ses qualités vocales. Aussi à l’aise dans le chant que dans le théâtre, il est une passerelle idéale entre les récitants et les chanteurs, Porcus d’anthologie en particulier.
Malheureusement, en comparaison, et en dépit de bonnes prestations vocales, les autres solistes alternent avec une diction moins parfaite – Éric Martin-Bonnet remplaçant Alain Vernhes, Marie-Claude Chappuis – ou carrément défectueuse – les sopranos –, renvoyant régulièrement l’auditeur aux surtitrages allemand et anglais pour suivre une action qui exigerait une compréhension limpide, immédiate et permanente.
Sur ce point, le chœur, globalement soigné et expressif, est aussi très à côté du style et le prologue – « ténèbres ! » – fait froid dans le dos, pas seulement pour des raisons musicales. Pas toujours magnifique et d’une prononciation régulièrement chaotique, il ne laisse qu’une impression mitigée où de belles masses stratifiées alternent avec des insultes exotiques. Le Salzburger Festspiele Kinderchor n’est pas non plus à la hauteur des habituels Tölzer : moins assuré, vocalement moins percutant, et surtout moins homogène.
Reste l’ORF Radio-Symphonieorchester de Vienne, superbe de bout en bout, phrasé, détaillé, profus, fondu et ciselé, merveilleux jeu de textures entre l’épaisseur du tissu harmonique et l’ajouré de la polyphonie. Sous la baguette inspirée de Bertrand de Billy, la partition d’Honegger gagne sa complexité, l’obscurité du prologue et la gravité du propos, la modernité néo-classique des passages les plus brillants, et un phénomène d’accumulation à chaque fois très maîtrisé, sans que le son s’alourdisse, dans une plénitude très limpide.
Le succès auprès du public, certes imputable à la présence d’une star sur le plateau, est en soi une satisfaction supplémentaire : ni le poète ni le compositeur n’ont tout à fait récolté les fruits de leur travail et de leur talent, restant relativement rares à la scène et au concert ; ce n’est pas le moins étonnant que d’assister à un pareil triomphe dans un festival international somme toute peu axé sur la musique française.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 12/08/2010 Thomas COUBRONNE |
| Jeanne d’Arc au bûcher d’Honegger sous la direction de Bertrand de Billy au festival de Salzbourg 2010. | Arthur Honegger (1892-1955)
Jeanne d’Arc au bûcher, oratorio dramatique
Texte de Paul Claudel
Fanny Ardant (Jeanne)
Jean-Philippe Lafont (Frère Dominique)
William Nadylam (récitation)
Vladislav Galard (récitation)
Elin Rombo (Soprano)
Maria Bengtsson (Soprano)
Marie-Claude Chappuis (Alto)
Gilles Ragon (TĂ©nor)
Eric Martin-Bonnet (Basse)
Salzburger Festspiele Kinderchor
Wiener Singverein
préparation : Johannes Prinz
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
direction : Bertrand de Billy | |
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