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CRITIQUES DE CONCERTS 19 mars 2024

Nouvelle production de Lulu de Berg dans une mise en scène de Vera Nemirova et sous la direction de Marc Albrecht au festival de Salzbourg 2010.

Salzbourg 2010 (4) :
Une lente course à l'abîme

© Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus

Patricia Petibon (Lulu) et Michael Volle (Dr. Schön)

Une œuvre aussi exigeante que la Lulu de Berg, pourvue d’une mise en scène entêtante dans son exploration de la déchéance, qui vous poursuit bien après la fin du spectacle, d’un plateau proche de la perfection, d’un orchestre au raffinement inouï et d’un chef orfèvre en diable : ce pourrait bien être cela, la magie Salzbourg.
 

Felsenreitschule, Salzburg
Le 17/08/2010
Yannick MILLON
 



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  • Après la mythique production Mussbach des annĂ©es 1990, Salzbourg se devait de mettre une nouvelle Lulu Ă  son rĂ©pertoire. Il Ă©tait question au dĂ©part d’une mise en scène de JĂĽrgen Flimm, de la direction d’Harnoncourt et de l’ancienne version en deux actes de la partition. Ce seront finalement la jeune Bulgare Vera Nemirova, Marc Albrecht, et le retour logique aux trois actes d’usage.

    Portrait de Lulu criard aux coulures sinistres, visages macabres entre Schiele et Ensor semblant dévisager le spectateur, forêt enneigée où rôdent de drôles d’animaux fantômes : la scénographie, renonçant au cadre naturel du Manège des rochers, est assurée par trois toiles immenses du néo-expressionniste Daniel Richter, dont on avait pu entrevoir le travail dans le Château de Barbe-Bleue il y a deux ans.

    Pour Nemirova, le bonheur est de courte durée. Dès son mariage, Lulu, étrangère à elle-même, comme contrôlée par des forces supérieures, semble ne plus contenir les assauts de son entourage, et accède progressivement à l’abstraction, au mythe, à l’essence de la femme dans toute son ambivalence, ni victime ni bourreau, simplement irrésistible, et terriblement passive.

    Aux négligences du peintre néo-bobo répond le débandage de la sculpture phallique de son atelier. Le II accélère le dépouillement et la déchéance, avec sa pyramide, théâtre des visions fantasmagoriques de Schön, son orgie triste à mourir, jusqu’au dérèglement intestinal de la Comtesse.

    Jouée au milieu des spectateurs comme un moment de répit, la scène de Paris contraste avec un tableau final naïf et désillusionné où la Geschwitz chérit de méchantes photocopies du portrait de Lulu, vestige de sa splendeur passée ; le meurtre, salvateur, au ralenti, presque chorégraphié, compte parmi les plus forts qu’on ait vus.

    © Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus

    Ce climat de désenchantement, de lente course à l’abîme est rendu à la perfection par la direction de Marc Albrecht, aussi chambriste qu’à Genève mais ô combien plus achevée dans son raffinement de la matière. Chaque rythme de danse, chaque motif est réglé au millimètre, sans une once de pesanteur didactique, et même avec l’expressivité, certes contrôlée, qui faisait tant défaut en Suisse.

    Les moments dramatiques ont cette fois un impact dévastateur par leur soudaineté, leur déchaînement imprévisible – un interlude du II d’anthologie. C’est aussi que le chef allemand, toujours soucieux de ne pas laisser déborder les cordes, donne une radiographie inouïe de l’harmonie, qu’on n’avait pas entendue aussi fouillée depuis Boulez. Comme obsédés de bout en bout par la monoritmica, les prodigieux Wiener Philharmoniker vaudraient à eux seuls le spectacle.

    Le plateau n’est pas loin de la perfection. Depuis sa prise de rôle sur les bords du lac Léman, Patricia Petibon confirme qu’elle a tout d’une grande Lulu : le physique, les excès comportementaux, le jusqu’au-boutisme expressif. Ses trésors rhétoriques paraissaient mieux intégrés, moins forcés au Grand Théâtre, et son aigu bougerait un peu plus dans la Felsenreitschule, mais l’adéquation entre l’artiste et le rôle est totale.

    Monument charismatique, Michael Volle est un Docteur Schön terrifiant de noirceur, de brutalité, aussi déchirant dans ses colères que dans ses moments de faiblesse, et un Jack l’Éventreur tétanisant de sang-froid. Un peu passe-partout de médium, Thomas Piffka a la quinte aiguë des grands Alwa. Tanja Ariane Baumgartner laisse une Geschwitz jeune, dont le phrasé sait alterner hachures proches du Sprechgesang et legato lunaire. On ne risque pas d’oublier sa dernière intervention, au vibrato désespéré, chantée depuis la salle, dans le noir.

    Brûlant les planches, fidèle au souvenir de son immense Wozzeck, le Schigolch de Franz Grundheber a cette présence naturelle, cette déclamation franche de la tradition des grands barytons-basses allemands. Véritable baume dans un rôle si souvent défiguré, le Peintre de Pavol Breslik est idéal : irradiant, fougueux, avec un aigu plein de fièvre. Révélation pour son Wotan providentiel de la Bastille, Thomas Johannes Mayer a la morgue, la veulerie et la claire articulation de l’Athlète, même si on y distribue souvent d’authentiques basses.

    Avec une pléiade de seconds rôles excellents – le Lycéen, le Prince, le Marquis –, on tient sans conteste le spectacle phare de Salzbourg 2010.




    Felsenreitschule, Salzburg
    Le 17/08/2010
    Yannick MILLON

    Nouvelle production de Lulu de Berg dans une mise en scène de Vera Nemirova et sous la direction de Marc Albrecht au festival de Salzbourg 2010.
    Alban Berg (1885-1935)
    Lulu, opéra en trois actes (1935)
    Livret du compositeur d’après Esprit de la terre et la Boîte de Pandore de Frank Wedekind
    Version achevée par Friedrich Cerha (*1926)

    Upper Austrian Jazz Orchestra (musique de scène, I)
    Mitglieder der Angelika Prokopp Sommerakademie (musique de scène, III)
    Wiener Philharmoniker
    direction : Marc Albrecht
    mise en scène : Vera Nemirova
    décors : Daniel Richter
    costumes : Klaus Noack
    Ă©clairages : Manfred Voss

    Avec :
    Patricia Petibon (Lulu), Tanja Ariane Baumgartner (Gräfin Geschwitz), Cora Burggraaf (Eine Theater-Garderobiere / Ein Gymnasiast / Ein Groom), Pavol Breslik (Der Maler / Ein Neger), Michael Volle (Doktor Schön / Jack the Ripper), Thomas Piffka (Alwa), Franz Grundheber (Schigolch), Thomas Johannes Mayer (Ein Tierbändiger / Ein Athlet), Heinz Zednik (Der Prinz / Der Kammerdiener), Andreas Conrad (Der Marquis), Martin Tzonev (Der Theaterdirektor / Der Bankier), Émilie Pictet (Eine Fünfzehnjährige), Cornelia Wulkopf (Ihre Mutter), Astrid Monika Hofer (Eine Kunstgewerblerin), Simon Schnorr (Ein Journalist), James Cleverton (Ein Diener), Gerhard Peilstein (Der Medizinalrat / Der Professor / Der Polizeikommissär).

     


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