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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 octobre 2024 |
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Nouvelle production d’Orfeo ed Euridice de Gluck dans une mise en scène de Dieter Dorn et sous la direction de Riccardo Muti au festival de Salzbourg 2010.
Salzbourg 2010 (5) :
Orphée au purgatoire
Ni enfer ni paradis pour cet Orfeo ed Euridice de Gluck concocté par Riccardo Muti et Dieter Dorn pour Salzbourg, spectacle un peu lisse, où un bon plateau et une mise en scène efficace sans être transcendante sont abandonnés aux approximations d’un orchestre assez mal tenu et aux espaces démesurés du Großes Festspielhaus.
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Nouveau Prince-Archevêque de Salzbourg, Riccardo Muti aime depuis quelques années y aborder les œuvres historiques italiennes, si possible dans des versions rares, fût-ce en un français calamiteux – tel le récent Moïse et Pharaon dans la mouture de l’Opéra de Paris. C’est donc sans surprise qu’il a choisi la version viennoise de 1762 de cet Orfeo ed Euridice qui cristallise tous les enjeux de la Querelle des Bouffons et de la réforme de l’opéra au XVIIIe siècle.
L’événement – médiatique – est certes d’une ampleur à justifier le recours à la grande salle du Festspielhaus, mais on ne peut pas en dire autant de l’œuvre et des voix, qui souffrent bien évidemment d’être échouées au milieu d’un espace démesuré. Par conséquent, la première déception – relative – viendra du plateau : les joliesses seront le meilleur de ce qui parviendra jusqu’au public, alors qu’on imagine un tout autre impact des voix dans une salle plus modeste où leurs qualités auraient été exaltées plutôt que contrecarrées par le lieu.
On ne pourra que deviner l’engagement dramatique de l’Orphée adolescent d’Elisabeth Kulman, qui prodigue, derrière le mur de l’orchestre, des nuances sur le fil du rasoir et des éclats passionnés, avec un timbre plein mais qui peine dans ce volume à imposer une réelle personnalité ; de son côté, Genia Kühmeier voit son aigu radieux à la Janowitz pâlir quelque peu, et son timbre angélique si caractéristique de l’école allemande sonner seulement joli dans une Eurydice pourtant touchante ; il est jusqu’à Christiane Karg, Amour piquant, d’émousser quelques-unes de ses flèches lorsqu’elle n’est pas à l’avant-scène.
L’orchestre, en assez petite forme – ce sont pourtant les mêmes que dans Lulu et Elektra –, ne transcende pas ces limites, bien au contraire : à l’exception des superbes échos du I et de quelques passages chirurgicaux ou dramatiques, il propose un flux de nuances assez dépourvues de relief et une propreté somme toute approximative – qui la justesse, qui la mise en place – tandis que le Maestro Muti mouline généreusement d’un geste souvent routinier et négligent, peut-être un peu trop destiné au public.
Même réserve du côté des chœurs, évidemment pas indignes mais ni d’une matière exceptionnelle, ni d’une déclamation toujours efficace, et d’une balance souvent discutable, d’autant que la partition leur fait la part belle presque à chaque tableau.
La scénographie, sans être révolutionnaire, a beaucoup de qualités : une grande adéquation avec le style de la partition grâce à des décors limpides et des éclairages contrastés, une certaine universalité grâce à l’abstraction des costumes des personnages confrontée au mélange bourgeois contemporain de la foule, et quelques idées bien trouvées.
Élégance visuelle
Le mythe y est raconté de manière classique, mais avec une indéniable élégance visuelle : l’ouverture en perspective réduite sur un décor bleuté entre ciel et marbre, les porteuses de lyre, prolongement de cet Orphée finalement pas très masculin – l’opéra entier étant vraiment assumé comme un opéra de femmes –, la robe rouge d’Eurydice comme une traînée de sang et une corde de gibet.
Aux Enfers, un astucieux éclairage jaune criard crée l’illusion d’un noir et blanc de film d’horreur mais ne rachète pas tout à fait le tout-venant des costumes du chœur, qui fonctionnent mieux dans le ballet final, après qu’Amour a ramené Eurydice d’entre les morts.
L’amusante pantomime montre le Dieu plus à l’aise pour ressusciter les morts que pour maintenir l’harmonie au sein des couples, et après une bataille conjugale rangée, à grand renfort de cheveux tirés et de bouquets de fleurs envoyés à la figure de la bien-aimée, le chœur final, louant les joies de l’amour malgré ses peines, prend ainsi tout son sens, loin d’une allégorie abstraite.
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