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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Le Vagabond ensorcelé de Rodion Chtchedrine par la troupe du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg sous la direction de Valery Gergiev au Théâtre du Châtelet, Paris.
Éternelle Russie
Avec cet opéra pour salle de concert créé en 2002 et donné ici en version scénique au Châtelet, Rodion Chtchedrine revisite les thèmes fondamentaux de la culture et de la civilisation russes. Une œuvre forte, originale, remarquablement servie par les forces vocales et musicales du Mariinski dirigées par Valery Gergiev.
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Un « opéra pour salle de concerts », pourquoi pas ? Pour causes de grèves diverses ou tout simplement par esprit d’économie, on assiste aujourd’hui à tant de versions de concerts d’opéras bien plus convaincantes et gratifiantes que les élucubrations de multiples metteurs en scènes à la mode et à la petite semaine ! De toutes façons, avec ses éléments des décors minimalistes mais efficaces, d’excellents éclairages et une mise en espace intelligente et vive, cette production est très proche des spectacles à décor unique qui sont eux aussi fort prisés actuellement.
Louons donc tout d’abord les artisans de cette réussite visuelle, Alexeï Stepaniuk pour la mise en scène, Alexander Orlov pour les décors, Irina Cherednikova pour les costumes, Evgeni Ganzbourg pour les lumières et même Dmitri Korneïev pour la chorégraphie.
On connaît bien l’écriture musicale de Rodion Chtchedrine, personnelle, riche de couleurs, appuyée sur une orchestration complexe, jouant sur les contrastes de timbres et opposant toujours très habilement la douceur des cordes et des bois à la violence des cuivres et des percussions. C’est d’une facture libre, ne se référant à aucune chapelle précise, mais utilisant avec instinct et talent les meilleurs apports du XXe siècle.
Même constatation pour ce qui est de l’écriture vocale, lyrique sans excès, respectueuse du texte et de son intelligibilité, sans effets inutiles. Et il faut bien que le spectacle et la musique aient autant de qualités pour que le très complexe contenu de l’œuvre inspirée par le récit éponyme de Nikolaï Leskov soit intelligible pour nous et garde assez de clarté pour retenir notre attention sans faiblesse une heure trente minutes d’affilée.
Nous ne sommes en effet pas loin d’un monde à la Dostoïevski avec ce Vagabond de Leskov, auteur de la fin du XIXe siècle à qui Chostakovitch avait déjà emprunté le sujet de sa Lady Macbeth de Msenzk. Mysticisme, cruauté, sentiment profond, obsédant, du péché, irrésistibles pulsions des sens qui poussent l’homme vers sa déchéance, magie, présence quasi panthéiste de la nature, rédemption par le sacrifice de la vie mais impossibilité d’échapper à son destin, tels dont les thèmes fondamentaux de l’œuvre et de presque toute la littérature et la musique russes, rassemblés ici dans l’histoire d’Ivan Sévérianovitch Fliaguine, novice au monastère de Valaam.
Trois chanteurs y suffisent, chacun incarnant plusieurs personnages. Dans le rôle-titre et celui d’un narrateur, Sergueï Alexashkin est excellent vocalement et dramatiquement, tout comme Andreï Popov qui n’incarne pas moins de cinq personnages et Kristina Kapoustinskaïa, double incarnation féminine à la belle voix harmonieuse, égale et bien en place. Le Chœur du Mariinski, disposé en frise au lointain, quelques danseurs-figurants aux élégantes silhouettes complètent ce plateau de haut niveau.
Et bien sûr, à la tête de l’Orchestre du Mariinski, Valery Gergiev mène l’ensemble avec énergie, lucidité, un engagement profond en tous domaines, achevant ainsi de permettre à cette partition de nous toucher malgré sa complexité et son refus de toute complaisance.
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