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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 octobre 2024 |
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Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de Francesca da Rimini de Zandonai dans une mise en scène de Giarcarlo del Monaco, sous la direction de Daniel Oren.
L’apothéose d’Alagna
Roberto Alagna (Paolo)
De retour à l’Opéra de Paris après une longue absence, Roberto Alagna irradie : diction idéale, adéquation parfaite entre sa voix et le rôle de Paolo, l’amant de Francesca Da Rimini. Il est le vrai triomphateur d’une production kitsch, désuète et boursouflée de l’opéra de Riccardo Zandonai. Un véritable manifeste esthétique en faveur de l’académisme réaliste.
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Francesca Da Rimini est surtout connue en France par deux peintures, celle romantissime d’Ary Scheffer au Louvre et l’autre, du très pompier Cabanel, accrochée au musée d’Orsay. Toutes deux sont tirées de l’Enfer de Dante et reproduites dans le programme du spectacle.
Les amours tragiques de cette héroïne médiévale, amoureuse de son beau-frère et tuée avec lui par son mari, ont inspiré au poète italien Gabriele D’Annunzio un drame qu’il fit jouer à la célèbre comédienne, la Duse. Ce fut l’origine du livret de l’opéra de Riccardo Zandonai (1883-1944), compositeur italien peu connu en France mais d’une originale complexité musicale. Nicolas Joel, directeur de l’Opéra de Paris, le fait entrer au répertoire. Belle idée, mais encore eût-il fallu qu’elle fût réussie !
Le metteur en scène Giancarlo del Monaco affirme d’emblée sa dévotion à D’Annunzio en affichant sur le rideau de scène son masque mortuaire. On s’en serait bien passé. L’œuvre du poète est certes remarquable, mais son influence sur le fascisme mussolinien laisse un goût amer. Del Monaco restitue tout ce que l’on sait de l’univers surchargé, bric-à -brac Belle Époque que D’Annunzio adorait. Il le transporta dans toutes ses résidences, jusqu’à Arcachon où plus tard il s’enfuit, criblé de dettes en Italie. C’est là qu’il imagina avec Debussy, sur une idée d’Ida Rubinstein, le Martyre de Saint Sébastien.
Le premier acte de Francesca da Rimini fait rire par son conformisme : fleurs par milliers plantées dans un souci d’académisme réaliste, choristes en vaporeuses robes et capelines blanches. Le malheureux Alagna-Paolo fait juste une apparition : muet, il porte à la main la rose que lui a envoyée Francesca par erreur. Elle croyait que Paolo était le prétendant qu’on lui avait choisi.
Dans ce capharnaüm végétal, Alagna arrive à garder une contenance. Un spectateur ironise : « l’important c’est la rose ». Pas un détail de l’histoire n’est négligé. Chacun est au contraire souligné comme au théâtre du XIXe siècle avant la révolution d’Antoine. Ainsi un épervier empaillé plus vrai que nature bat mécaniquement des ailes, comme il est dit dans l’histoire.
RĂ©alisme Ă©prouvant
À notre époque où l’on aime tant l’allusion, ce réalisme lourd, éprouvant, entrave l’imagination des spectateurs et nuit à l’écoute et au rêve. Les actes suivants continuent les citations de l’univers d’annunzien avec accumulations d’antiques, d’étoles, de broderies et de lutrins. Étonnante, cette proue de navire colossale, proche de l’esthétique mussolinienne, qui ouvre son nez pour laisser passer en chaise roulante Giovanni La Sciancato, l’époux difforme de Francesca !
Le seul aspect positif de cette mise en scène huée à chaque fin d’acte est le travail minutieux des ateliers de l’Opéra de Paris dans les créations des costumes. Sous les lazzi, Del Monaco, à la fin de cette première représentation, s’agenouille devant le public, espérant un peu de compassion.
Heureusement, l’orchestre sous la direction du maestro israélien Daniel Oren souligne la puissance poétique envoûtante de cette musique qui pioche un peu partout de Verdi à Wagner en passant par Strauss et Debussy.
Nicolas Joel n’a pas son égal pour réunir des distributions équilibrées. Celle-ci est particulièrement soignée. Roberto Alagna n’a jamais été autant en symbiose avec son personnage. Certes son rôle de bel amoureux est un peu simplet, mais il le transfigure par son interprétation vocale.
Aminci, il irradie comme d’ailleurs la minuscule soprano bulgare Svetla Vassileva (Francesca) qui se love dans ses bras et qui, au moment de leur mort, retrouve les attitudes de la peinture de Cabanel.
Mais la scène la plus prenante, la plus dramatique et la plus belle vocalement est le face-à -face des deux frères, monstres féroces que sont Giovanni – le formidable baryton géorgien George Gagnidze – et le vindicatif Malatestino – l’étonnant ténor américain William Joyner. La manière perfide dont ils manigancent leur vengeance est un chef-d’œuvre d’intensité.
Del Monaco sait diriger les chanteurs, mais dans les autres productions qu’il prépare pour l’Opéra de Paris, qu’il cherche une esthétique plus contemporaine, par pitié !
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Opéra Bastille, Paris Le 31/01/2011 Nicole DUAULT |
| Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de Francesca da Rimini de Zandonai dans une mise en scène de Giarcarlo del Monaco, sous la direction de Daniel Oren. | Riccardo Zandonai (1883-1944)
Francesca Da Rimini, tragédie en quatre actes (1914)
Livret de Tito Ricordi d’après la tragédie homonyme de Gabriele D’Annunzio
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Paris
direction : Daniel Oren
mise en scène : Giancarlo Del Monaco
décors : Carlo Centolavigna
costumes : Maria Filippi
Ă©clairages : Hans Rudolf Kunz
préparation des chœurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Svetla Vassileva (Francesca), Louise Callinan (Samaritana), Wojtek Smilek (Ostasio), Roberto Alagna (Paolo il Bello), George Gagnidze (Giovanni lo Sciancato), William Joyner (Malatestino dall’Occhio), Grazia Lee (Biancofiore), Manuela Bisceglie (Garsenda), Carol Garcia (Adonella), Andrea Hill (Altichiara), Cornelia Oncioiu (La Schiava), Alexandre Kravets (Ser Toldo Berardengo), Alexandre Duhamel (Il Torrigiano). | |
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