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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 septembre 2024 |
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Avant de parler des aspects nettement négatifs de ce concert, soulignons-en les points forts. D’abord, il y a l’Orchestre national de France qui, sous la baguette de celui qui était voici peu encore son directeur musical, Kurt Masur, rend une justice équitable à cette partition difficile entre toutes car s’y mêlent émotion pure et pensée philosophique.
Certes, Masur a de l’unique opéra beethovénien une vision héritée de la plus pure tradition germanique, souvent plus rythmique, notamment à l’ultime tableau, que cherchant à jouer sur la fluidité et le lyrisme, comme le faisait par exemple un Karajan.
Mais l’équilibre vents-cordes est bien pensé, la sonorité d’ensemble est belle, les moments où l’élan romantique jaillit avec le plus de force sont bien mis en relief. La couleur sonore du chœur manque malheureusement en général de subtilité, surtout dans le chœur des prisonniers, mais ce n’est pas uniquement la faute du chef.
La distribution masculine est dans son ensemble d’un haut niveau. Mais avoir placé les chanteurs derrière l’orchestre et devant les chœurs est une fausse bonne idée. D’une part, on les voit mal, ce qui, dans une version de concert, est regrettable. D’autre part, cela ne recrée pas les conditions d’une représentation normale puisque l’orchestre n’est pas dans la fosse.
Les voix ont donc plus de mal à passer que si elles devaient survoler cette masse sonore situées en contrebas. Fort heureusement, Kurt Rydl (Rocco), encore plus Matthias Gœrne, impressionnant Pizarro tout d’agressivité, de violence, de morgue et de haine, et aussi, à un moindre degré Burkhard Fritz, honnête Florestan, plus musical que puissant, s’imposent dans ces conditions peu faciles.
Il n’en va pas de même du Jaquino de Werner Güra, aigrelet et lointain, ni surtout de la Marzelline de Sophie Karthäuser ni de Leonore de Melanie Diener. Jolie voix fragile au timbre cristallin mais bien plus destinée au répertoire baroque qu’à celui-ci, Sophie Karthäuser ne donne aucun relief à son personnage que l’on finit presque par oublier en particulier dans les ensembles.
Belle mozartienne, Melanie Diener n’est pas à sa place ici non plus où il faut une voix non seulement plus large, mais surtout dotée d’une capacité d’émotion naturelle indispensable à ce personnage d’une telle intensité dramatique.
Même si l’on a la charité de ne pas esquisser la moindre comparaison avec les Mödl, Rysanek, Zadek, Janowitz, Meier, Jones, ou même Ludwig ou Jurinac, quelques noms dans une galaxie d’une dimension autre mais plus conforme aux exigences du rôle, on ne peut nier que Diener soit non seulement à la peine dans le redoutable air du I dont tous les aigus sont criés et bas, mais que, même plus à l’aise au II, sauf dans le duo, elle garde une couleur unique, froide et inexpressive d’un bout à l’autre de la partition.
Enregistré, le concert sera diffusé sur France Musique, et gageons que les miracles de la technique feront paraître ces voix féminines d’une taille bien plus adéquate qu’elles ne l’étaient dans la salle. Ce ne sera pas la première ni la dernière fois, tant au concert radiodiffusé qu’au disque.
Autre problème, celui posé par la suppression totale des dialogues. Certes, il n’est pas facile de faire dire des textes aux chanteurs sans mise en scène, mais réduire l’œuvre à un enchaînement d’airs et d’ensembles sans lien dramatique est un appauvrissement sérieux.
On dira que cela rappelle les premiers enregistrements d’opéras de Mozart par Karajan dans les années d’après-guerre où récitatifs (les Noces de Figaro) et textes (la Flûte enchantée) ne figuraient pas. On le regretta, à l’époque, mais, au moins, les distributions étaient idéales et sont restées, d’ailleurs, à peu près inégalées aujourd’hui encore.
Impression générale donc plus que mitigée pour ce Fidelio, mais qui, une fois encore, n’en déchaîne pas moins l’enthousiasme d’un public recevant quand même avec une violente émotion les splendeurs de cet opéra totalement unique dans l’histoire du genre. D’une certaine manière, c’est réconfortant.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 23/02/2011 Gérard MANNONI |
| Version de concert de Fidelio de Beethoven sous la direction de Kurt Masur au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Fidelio, opéra en deux actes (1814)
Livret de Joseph Sonnleithner et Friedrich Treitschke, d'après Léonore ou l'amour conjugal de Jean-Nicolas Bouilly
Version de concert
Melanie Diener (Leonore)
Burkhard Fritz (Florestan)
Matthias Goerne (Pizzaro)
Kurt Rydl (Rocco)
Sophie Karthäuser (Marzelline)
Werner GĂĽra (Jaquino)
Bálint Szabó (Fernando)
Bertrand Dubois (un prisonnier)
Patrick Raelet (un prisonnier)
Chœur de Radio-France
préparation : Frank Markowitsch
Orchestre national de France
direction : Kurt Masur | |
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