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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Crépuscule des Dieux de Wagner dans une mise en scène de David McVicar et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin.
Fin du monde en apothéose
Après une année d’interruption, le Ring de David McVicar à Strasbourg peut enfin arriver à son terme et célébrer la chute du monde des dieux de la plus belle manière. Entre théâtre et épopée, les quatre heures trente de ce Crépuscule, portées par un solide plateau et une direction d’un soutien constant, semblent passer le temps de le dire. Historique.
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Nous y sommes. Après une interruption d’une saison, néfaste dans la frénésie wagnérienne ambiante, le Ring de David McVicar peut enfin s’achever à l’Opéra du Rhin. Et si les trois premiers volets nous avaient emballés, le dernier ne fera pas exception, avec son mélange toujours aussi réussi de portée mythologique et de crédibilité théâtrale.
À l’heure de tant de relectures caustiques ou expérimentales, on se passionne tout du long pour ce sens de l’épopée, de la fresque, certes pas révolutionnaire, mais mené avec une magnificence du visuel et un art de la narration parfaitement prenants.
L’univers du masque comme symbole de divinité est toujours d’actualité, et une fois le Walhalla et ses idoles partis en fumée, l’or personnifié abandonnera le sien pour se dévoiler simple mortel, et donner l’impression, ou peut-être juste l’illusion, que tout peut redémarrer pour l’homme passé l’engloutissement des dieux.
L’immersion théâtrale doit beaucoup à la beauté absolue des éclairages de Paule Constable, sachant toujours par d’imperceptibles variations jamais pléonastiques suggérer tel changement d’atmosphère, tel non-dit du livret à la manière d’un sous-texte, et avec une respiration attentive à la partition qui n’est pas la moindre des qualités de ce Crépuscule.
Surtout, au-delà de ses habituelles qualités de caractérisation – le clan japonisant des Gibichungen, les Nornes aveugles prisonnières d’un entrelacs de cordes immémorial, un Alberich parkinsonien et décrépit –, par la pertinence d’options montrant l’étendue de sa maîtrise des rouages dramatiques, McVicar parvient à faire oublier que le poème de Götterdämmerung a été écrit en premier, et qu’il demeure le plus académique des quatre.
Ainsi, l’utilitaire duo d’amour du prologue est l’occasion d’un élargissement en trio avec un Grane cabotin provoquant la jalousie de Siegfried, qui mettra toute sa fougue au service de son apprivoisement. De même du complot ourdi par les Gibichungen, dont la ficelle un peu grosse s’oublie devant la relation aux frontières de l’inceste de la fratrie, et de la scène de foule obligée des vassaux de Hagen, dévoilant un peuple consanguin frappé de débilité – stupéfiant chœur masculin de la maison, on se croirait au Festspielhaus !
Un véritable sans faute dans la conduite générale de ce Ring parmi les plus passionnants qu’on ait vus. La continuité et le soutien sont aussi les points forts de la direction de Marko Letonja, qui ne souffre aucune chute de tension et ne tente pas l’irréalisable avec des musiciens en nombre limité par l’exiguïté de la fosse, et vu la fragilité de certains pans de l’harmonie.
Aussi le chef slovène propose-t-il une lecture gardant l’avancée dans la ligne de mire, cursive et fuyant des effets de masse qui asphyxieraient les souffleurs strasbourgeois, plus d’une fois à la peine – les cors, d’embouchure très inégale –, et engendre une vision chambriste, d’énergie objective, bien peu romantique, toujours dans la fermeté du tempo et forte d’un équilibre irréprochable avec le plateau.
Ce dernier s’avère tout à fait à la hauteur de l’événement, entre l’Alberich à la voix de métal rouillé d’Oleg Bryjak, la Waltraute musicienne jusqu’au bout des ongles de Hanne Fischer, d’une déclamation incarnant à elle seule le théâtre, le Siegfried de Lance Ryan, vaillance absolue, franchise éclatante de Heldentenor pas encore assombri et même doté d’un ut de Manrico, ou encore le Gunther de Robert Bork, de plus en plus puissant au cours de la soirée, d’une morgue, d’un mordant exemplaires, et la Gutrune entre fragilité et aplomb de Nancy Weissbach.
Quant à la problématique Jeanne-Michèle Charbonnet, elle livre sans doute ici sa meilleure prestation dans ce Ring, et si le troisième registre de sa Brünnhilde est toujours affublé d’un vilain hululement, la voix conserve tout du long une accroche, un impact et une volonté d’en découdre qui forcent le respect, notamment dans un grave blindé, rappelant le passé de guerrière de l’amoureuse trahie.
Le seul maillon décevant serait le Hagen de Daniel Sumegi, dont la voix toute tubée parvient pourtant à s’imposer dans les moments les plus périlleux, au mépris de tous les pronostics engagés par une technique extra-terrestre. Et si les Nornes n’offrent pas un souvenir impérissable, cela fait bien trente ans que Bayreuth ne sait plus s’offrir des Filles du Rhin dominées par un soprano aussi adamantin. Une véritable apothéose pour ce Ring strasbourgeois qu’on aimerait tant voir repris.
Lire le compte rendu de l’Or du Rhin
Lire le compte rendu de la Walkyrie
Lire le compte rendu de Siegfried
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 25/02/2011 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Crépuscule des Dieux de Wagner dans une mise en scène de David McVicar et sous la direction de Marko Letonja à l’Opéra du Rhin. | Richard Wagner (1813-1883)
Götterdämmerung, troisième journée en un prologue et trois actes du festival scénique Der Ring des Nibelungen
Livret du compositeur
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Marko Letonja
mise en scène : David McVicar
décors : Rae Smith
costumes : Jo van Schuppen
Ă©clairages : Paule Constable
préparation des chœurs : Michel Capperon
Avec :
Lance Ryan (Siegfried), Jeanne-Michèle Charbonnet (Brünnhilde), Daniel Sumegi (Hagen), Robert Bork (Gunther), Oleg Bryjak (Alberich), Nancy Weissbach (Gutrune), Hanne Fischer (Waltraute), Sarah Fulgoni (Erste Norn), Hanne Fischer (Zweite Norn), Nancy Weissbach (Dritte Norn), Anaïs Mahikian (Woglinde), Kimy Mc Laren (Wellgunde), Carolina Bruck-Santos (Flosshilde). | |
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