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CRITIQUES DE CONCERTS |
16 octobre 2024 |
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Reprise de Kát’a Kabanova de Janáček dans la mise en scène de Christoph Marthaler, sous la direction de Tomáš Netopil Ă l’OpĂ©ra de Paris.
FenĂŞtres sur cour
Éblouissante reprise de la Kátia Kabanová sordide de Christoph Marthaler au Palais Garnier. Si le spectacle demeure l’un des plus forts vus depuis une décennie dans la Grande Boutique, une équipe vocale très investie dans le théâtre réaliste du metteur en scène suisse et la baguette de Tomáš Netopil portent la production au pinacle.
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« Mon dieu que c’est laid ! » L’exclamation venant droit du cœur d’une spectatrice sans doute peu habituée au type de scénographie que propose la Kátia Kabanová de Marthaler, particulièrement dans les ors du Palais Garnier, n’a rien d’étonnant, et pourrait même passer pour objective.
Car justement, le visuel de ce spectacle est aussi laid que le sujet de la pièce d’Ostrovski mise en musique par Janáček, et que l’âme de ces personnages hypocrites et malsains, tous responsables du suicide d’une Kátia rongĂ©e par le remords d’avoir osĂ© vivre l’espace d’un instant ses aspirations de femme au milieu d’une sociĂ©tĂ© broyeuse d’individu au nom de la biensĂ©ance et de la tradition.
Alors bien sûr, cette cour de H.L.M. d’Union soviétique aux murs léprosés n’a rien de glamour, tout comme cette fontaine où gît le cadavre d’un cygne, hérissée de gicleurs vert-de-gris du dernier misérabilisme éjaculatoire, ou encore l’accoutrement des habitants du quartier, aux limites du regardable.
Mais par cette plongée dans le quotidien sordide des prolétaires de l’ancien bloc de l’Est, Marthaler affirme que l’histoire de Kátia est celle de toutes les époques et peut concerner tout un chacun, avec un sentiment de prédétermination rappelant qu’il est terriblement difficile de sortir de sa condition.
Depuis les premiers rangs de l’orchestre, le décor vertical d’Anna Viebrock ne cesse d’impressionner par le sentiment de claustration qu’il dégage, renforcé par la présence insidieuse aux fenêtres d’une population désœuvrée épiant les moindres faits et gestes. Ni Volga ni jardin, seulement l’enfermement et une photo du fleuve sur un vieux calendrier des postes qui fait rêver de lointains à peine imaginables pour cette humanité écrasée, le metteur en scène restreint dès le lever de rideau l’horizon des personnages.
La névrose est en outre l’une des constantes de l’univers de Marthaler, et chacun y va de ses troubles compulsifs : Kabanicha cajole ses bibelots en cachette et engloutit d’énormes cornichons en guise de bravade, Kudriach et Varvara semblent pris de la Danse de Saint-Guy, et à l’instar de l’Isolde de son Tristan de Bayreuth, Kátia repositionne dix fois les chaises pour apaiser ses angoisses.
De même, preuve que Marthaler, flûtiste et hautboïste de formation, s’y entend plus que la majorité de ses confrères en matière de musique, la lente descente à l’avant-scène de tous les protagonistes déterminés à juger Kátia sur la musique de l’interlude le plus tendu de l’opéra trouve un génial écho dans le mutisme de chaque personnage face au mur, dos à l’héroïne, comme pour ignorer sa détresse.
Mais la réussite de cette reprise exemplaire doit aussi beaucoup à la prestation de Tomáš Netopil dans la fosse. Le jeune maestro concilie l’inconciliable en proposant une lecture au dramatisme suffocant autant que d’une plastique impeccable. Ainsi, l’Orchestre de l’Opéra brille de mille contrastes et donne à entendre des mixtures de timbres jubilatoires, des saillies tectoniques de cuivres et de percussion, mais aussi des soli en état de grâce.
Et dans le mĂŞme temps, le chef, par un puissant geste rassembleur, fait sourdre les masses avec toute la douleur requise, une rĂ©volte infinie et une gestion des incessants points d’arrĂŞt du langage de Janáček d’une totale cohĂ©rence.
Le plateau n’a dès lors qu’à se laisser porter par cette houle, et si le vibrato de possédée de la Kabanicha de Jane Henschel parvient à masquer des moyens amoindris, si le Boris de Jorma Silvasti bute sur un instrument plus pauvre en couleurs que jamais et effleure tout juste ses aigus, Vincent Le Texier joue à merveille l’obscurantisme de Dikoy tandis que Donald Kaasch donne au mieux dans les couinements châtrés de Tikhon.
Quant au décidément excellent Ales Briscein, son Kudriach illustre l’avantage de chanter dans sa langue maternelle par la saveur délicieusement ciselée de sa déclamation, d’une projection franche aux voyelles éclatantes qui l’emportent en évidence sur le reste de la distribution.
Reste le rĂ´le-titre portĂ© par Angela Denoke, avec sa technique indĂ©finissable, sa voix qui bouge et souffre parfois d’un vibrato marquĂ©, mais qui demeure constamment touchante par ses nuances infimes, l’instrumentalitĂ© de ses interventions, par le caractère blessĂ© Ă mort et les Ă©lans dĂ©sespĂ©rĂ©s qu’elle confère au personnage fĂ©minin le plus touchant de Janáček.
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Palais Garnier, Paris Le 16/03/2011 Yannick MILLON |
| Reprise de Kát’a Kabanova de Janáček dans la mise en scène de Christoph Marthaler, sous la direction de Tomáš Netopil Ă l’OpĂ©ra de Paris. | Leoš Janáček (1854-1928)
Kát’a Kabanová, opéra en trois actes
Livret de Vicence Cervinka d’après l’Orage d’Alexandre Ostrovski
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Tomas Netopil
mise en scène : Christoph Marthaler
décors & costumes : Anna Viebrock
Ă©clairages : Olaf Winter
préparation du chœur : Patrick Marie Aubert
Avec :
Angela Denoke (Kátia), Vincent Le Texier (Saviol Dikoy), Jane Henschel (Kabanicha), Donald Kaasch (Tikhon), Jorma Silvasti (Boris), Ales Briscein (Kudriach), Andrea Hill (Varvara), Michal Partyka (Kouligin), Virginia Leva-Poncet (Glacha), Sylvia Delaunay (Fekloucha), Marie-Cécile Chevassus (une femme), Ulrich Voss (un homme). | |
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