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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Platée de Rameau dans une mise en scène de Nigel Lowery et Amir Hosseinpour et sous la direction de René Jacobs à l’Opéra d’Amsterdam.
Honneur Ă la Folie
Inga Kalna (la Folie)
Loin des querelles de chapelle, c’est à Amsterdam que René Jacobs s’essaie à Rameau, avec son chef-d’œuvre d’un genre d’autant plus nouveau qu’il est demeuré unique, le ballet bouffon Platée. À la revue burlesque réglée par Nigel Lowery et Amir Hosseinpour répond la fantaisie rigoureuse d’un plateau vocal surprenant et d’un orchestre menés tambour battant jusqu’à la folie.
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René Jacobs avait une revanche à prendre sur l’opéra français. Le Roland présenté en clôture du cycle Lully du Théâtre des Champs-Élysées demeure en effet la seule ombre au tableau d’une carrière d’une cohérence exemplaire, tant par ses choix que ses réalisations. Quelle œuvre mieux que Platée pouvait dès lors célébrer son retour à un répertoire qu’il n’avait plus fréquenté depuis près de vingt ans ?
Car avec son ballet bouffon, Rameau prend entre deux querelles – celle qui opposa Lullystes et Ramistes, puis celle des Bouffons, justement – le parti d’en rire. Aucune des conventions de la tragédie lyrique n’échappe à son sens affuté de la parodie, de l’autodérision même, à commencer par le rôle-titre, confiée à une haute-contre en travesti – et pas n’importe laquelle, puisque Jélyotte incarna tour à tour Dardanus, Hippolyte, Zoroastre et Castor sur la scène de l’Académie royale de musique. Et à ceux qui lui reprochaient ses penchants italianisants, le Dijonnais répond en renvoyant dos à dos les vocalises de la Folie, égrenées sur les voyelles proscrites par les traités de chant, et sa déclamation non moins boursouflée.
À travers cet esprit si délectablement français, illustré avec plus ou moins de subtilité par Marc Minkowski et Christophe Rousset, René Jacobs se fraie un chemin éminemment personnel, exaltant le triomphe de la symphonie et le « chef-d’œuvre de l’harmonie ». Et puisque Rameau pousse ses théories jusqu’à l’absurde dans la scène de la Folie, le chef belge s’approprie cette loufoquerie. Avec quelle rigueur pourtant, quel soin et quelle invention dans la peinture sonore, le coassement même.
L’Akademie für Alte Musik Berlin se grise des timbres et des rythmes, de leurs ruptures fondues enchaînées sans le moindre répit, s’appropriant un langage saillant sans se départir de sa rondeur. Et le continuo se réinvente sans cesse, avec cette fantaisie, ce sens du rebond dont Jacobs irrigue les récitatifs d’opera seria. Un Rameau exotique, ou simplement relevé des saveurs des goûts réunis ?
La distribution vocale n’était a priori pas plus idiomatique, avec ses chanteurs peu rompus au style français, à l’exception du Thespis et du Mercure agile, assumé jusqu’au maniérisme d’Anders Dahlin. Pas un mot n’échappe toutefois – y compris du chœur –, si le sens n’est pas constamment prégnant. Et un Cithéron jeune et clair – Martijn Cornet –, un Jupiter barbon – le fidèle Marcos Fink –, une Junon éclatante, de voix et de jalousie – Anna Grevelius –, et une Clarine gorgée d’ornements – Johannette Zomer – forment en somme un ensemble plus que réjouissant.
Pour la Folie, René Jacobs a voulu une furie d’opera seria, son Armida de Rinaldo, qui fut aussi la Junon de sa dernière Calisto, et une envoûtante Alcina : Inga Kalna. Timbre tranchant et corsé à la fois, piqués étourdissants de légèreté surgis d’une pâte plantureuse, ses langueurs d’Apollon sont d’une virtuosité ahurissante autant qu’incisive, union paradoxale et inquiétante des esthétiques française et italienne.
Platée, enfin, est un ténor rossinien. Verbe limpide, instrument glorieux, Colin Lee se joue de la tessiture de haute-contre comme des pièges d’une partie ardue, un peu au détriment du caractère d’abord. Sans grimaces ni minauderies, le personnage prend cependant consistance, d’une féminité pataude qui conquiert la sympathie. Et d’un courroux enfin héroïque, mieux, tragique.
Désertant son marais profond, la naïade ridicule règne, concierge et dame pipi, sur une H.L.M. et des vespasiennes, mais aspire au confort moderne d’un pavillon individuel. En substance – et par une transposition assez similaire, entre années 1950 et 1970 –, Nigel Lowery et Amir Hosseinpour racontent la même histoire que Mariame Clément à l’Opéra du Rhin, celle de « la fille qui pète plus haut que son cul et qui est bien châtiée à la fin. » Mais là où la Française, conservant à la nymphe ses atours batraciens, ne s’écartait jamais de la voie de la raison – et de La Fontaine –, les deux complices livrent Platée à la Folie – sous ses habit de noces, une Ophélie, une Lucia, d’emblée détraquée, burlesque.
Il arrive certes que les gags, d’un humour sans doute plus anglo et surtout saxon que français, se laissent distancer par les facéties musicales, mais le coq-à -l’âne – ou plutôt l’âne au hibou, s’agissant des métamorphoses de Jupiter – cultivé par Lowery et Hosseinpour fait assez systématiquement mouche, ordonnant, par delà une chorégraphie désinvolte, la plus improbable des revues : des danseuses de music-hall – tour à tour féminines et masculines –, le susdit âne en chair et en os, des Inuits squatteurs – ce sont eux, les Aquilons trop audacieux –, des scouts, l’Embarquement pour Cythère de Watteau, et même Wotan…
Mais c’est à René Jacobs qu’il revient de « finir par un coup de génie » : plutôt que de se conformer à l’usage de terminer par les trois accords qui abandonnaient Platée à son ire dans la version de 1745, il respecte, après un silence accablant, la reprise du chœur Chantons Platée, égayons-nous, mais entonné a cappella, dans un murmure sardonique par la Folie. La cruauté du châtiment n’en est que plus insoutenable.
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De Nederlandse Opera, Amsterdam Le 11/04/2011 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Platée de Rameau dans une mise en scène de Nigel Lowery et Amir Hosseinpour et sous la direction de René Jacobs à l’Opéra d’Amsterdam. | Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Platée, ballet bouffon en un prologue et trois actes (1745), version de 1749
Livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville et Balot de Sovot, d’après la pièce de Jacques Autreau
Vocaal ensemble (Koor van De Nederlandse Opera)
Akademie fĂĽr Alte Musik Berlin
direction : René Jacobs
mise en scène : Nigel Lowery & Amir Hosseinpour
décors et costumes : Nigel Lowery
chorégraphie : Amir Hosseinpour
Ă©clairages : Lothar Baumgarte
Avec :
Inga Kalna (Thalie / la Folie), Anna Grevelius (Junon), Johannette Zomer (l’Amour / Clarine), Colin Lee (Platée), Anders J. Dahlin (Thespis / Mercure), Marcos Fink (Jupiter), Martijn Cornet (Cithéron / un Satyre), Frans Fiselier (Momus). | |
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