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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de l’Affaire Makropoulos de Janáček dans une mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Friedemann Layer Ă l’OpĂ©ra du Rhin.
Makropoulos sans toxicité
Suite de la tĂ©tralogie Janáček de Robert Carsen Ă l’OpĂ©ra du Rhin. Après l’oppressante atmosphère rurale de Jenůfa et avant la Renarde et les sublimes Ă©tendues lacustres de Kátia Kabanová, on reste quelque peu sur sa faim devant une Affaire Makropoulos aux rouages parfaitement huilĂ©s et d’une extrĂŞme lisibilitĂ© mais dĂ©nuĂ©e de rĂ©elle puissance théâtrale.
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Robert Carsen est ce que l’on peut appeler une valeur sûre de la mise en scène lyrique, et ses réalisations ayant marqué les esprits par leur beauté et leur impact sont légion depuis une vingtaine d’années. Et si son Capriccio, son Chevalier à la rose ont fait les riches heures de Garnier et de Salzbourg, son Tannhäuser, son Lohengrin vus ou revus à la Bastille récemment semblaient néanmoins montrer les limites d’un système où les meilleures trouvailles commençaient à s’enliser dans la répétition.
La tĂ©tralogie Janáček entamĂ©e la saison dernière Ă Strasbourg promettait pourtant de magnifiques moments de théâtre si l’on en juge par la Jenůfa donnĂ©e en juin 2010, et quand on sait qu’en direct, les sublimes images de la Kátia aquatique filmĂ©es pour le DVD Ă Madrid auront encore un relief supĂ©rieur.
On ne peut donc s’empêcher de ressentir une petite déception devant une Affaire Makropoulos certes ultra professionnelle, virtuose même dans sa capacité à délivrer intacte la trame narrative de cet opéra des plus complexes, et notamment à travers certaines options comme cette Emilia Marty en Turandot au II, ou encore sa manière d’interroger la salle partiellement rallumée à la scène finale.
Mais à vouloir tout expliquer d’emblée, en particulier dans ce défilé de la diva sous des costumes retraçant l’ensemble de son parcours sur trois siècles pendant le prélude du I, on finit par éprouver plutôt une impression de didactisme pesant, surtout dans un contexte scénographique aussi clean.
En outre, même si l’idée de rapprocher la Marty de Lulu n’est pas sans intérêt, on peine à comprendre le magnétisme irrépressible d’une héroïne aussi détestable et peu embarrassée de grâce que celle campée par une Cheryl Barker rien moins que féminine et constamment monolithique – qu’on se souvienne ici en comparaison de la Marilyn conçue par Warlikowski pour Angela Denoke, autrement touchante par sa fragilité.
En matière de distribution, plus encore que dans les autres opĂ©ras de Janáček, les personnages ne sont en rien axĂ©s sur la performance vocale, mais avant tout sur la prĂ©cision de la dĂ©clamation, le ciselage du texte, la manière de faire passer un ton, une atmosphère, Ă la façon d’une galerie de portraits.
Si le Dr Kolenatý d’Enric Martinez-Castignani s’embourbe dans une émission pataude et un texte mâchonné, si le Vitek de Jan Markvart expose un vibrato bien fatigué, Andreas Jäggi est un Hauk-Šendorf délicieusement caractérisé, pointu à souhait, aux côtés du Jaroslav Prus très en voix de Martin Bárta et de la Krista idéalement lumineuse d’Angélique Noldus.
Dans les deux seuls rôles ouvertement vocaux, n’était un aigu toujours précaire, Charles Workman a toutes les qualités d’un grand Albert Gregor : ferveur, jeunesse du timbre, émission juste assez conquérante, face à une Emilia Marty assez grêle et guère séduisante mais d’un dramatisme certain et d’une accroche vocale pleine d’aplomb.
On nourrissait de vives inquiétudes quant à la partie orchestrale confiée non au Philharmonique de Strasbourg mais au plus modeste Symphonique de Mulhouse, devant l’une des partitions lyriques les plus redoutables par ses sollicitations rythmiques obsessionnelles, par ses ruptures brusques et le recours à des tessitures souvent inconfortables pour les vents.
Et si dans l’ensemble, la formation alsacienne s’en tire honorablement, on reste assez loin de l’idéal d’une machine de guerre psychologique, et à l’exception d’un timbalier au vrai tempérament, malgré l’impression que les musiciens donnent tout ce qu’ils peuvent, la prestation reste mince, et Friedemann Layer se contente avant tout de déminer le terrain et de baliser la piste d’atterrissage, en tapant comme un sourd.
Dès lors, on n’attendra pas que les silences, éléments moteurs fondamentaux du langage du compositeur, tombent autrement qu’à plat, purement fonctionnels, et que les élans de lyrisme, privés d’acuité par des cordes jamais brûlantes, ne décollent à aucun moment du propret.
Ce mardi soir, la représentation a dû être repoussée d’une demi-heure en raison du blocage de l’autocar des musiciens sur l’autoroute reliant Mulhouse à Strasbourg, suite au renversement d’un camion de produits toxiques. Voilà donc où s’est perdu le poison attendu dans cet ouvrage corrosif servi de manière un peu sage.
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 12/04/2011 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de l’Affaire Makropoulos de Janáček dans une mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Friedemann Layer Ă l’OpĂ©ra du Rhin. | Leóš Janáček (1854-1928)
Věc Makropulos, opĂ©ra en trois actes (1926)
Livret du compositeur d’après la pièce de Karel Čapek
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre symphonique de Mulhouse
direction : Friedemann Layer
mise en scène : Robert Carsen
décors : Radu Boruzescu
costumes : Miruna Boruzescu
Ă©clairages : Peter van Praet & Robert Carsen
préparation des chœurs : Michel Capperon
Avec :
Cheryl Barker (Emilia Marty), Charles Workman (Albert Gregor), Enric Martinez-Castignani (Dr Kolenatý), Jan Markvart (Vitek), Angélique Noldus (Krista), Martin Bárta (Jaroslav Prus), Enrico Casari (Janek), Andreas Jäggi (Hauk-Šendorf), Peter Longauer (un machiniste), Nadia Bieber (une femme de ménage / une femme de chambre). | |
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