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CRITIQUES DE CONCERTS 10 décembre 2024

Création de The Second Woman de Frédéric Verrières au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.

Le premier véritable opéra d'aujourd'hui
© Pascal Victor/ ArtcomArt

La création de Second Woman au Théâtre des Bouffes du Nord était peu attendue. Immense sensation : l’opéra de Frédéric Verrières et Bastien Gallet est la proposition lyrique la plus fraîche et la plus novatrice sans doute jamais écrite par un compositeur français depuis le début de ce siècle.
 

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Le 03/05/2011
Laurent VILAREM
 



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  • Le chef-d’œuvre ne vient jamais où on l’attend. Dire que la création de Second Woman était attendue relèverait du mensonge, voire de l’hypocrisie. Les raisons en sont nombreuses. L'originalité du lieu tout d’abord : le Théâtre des Bouffes du Nord est peu rompu aux exécutions lyriques, hormis celles concoctées par l’ancien maitre des lieux, Peter Brook.

    Le compositeur ensuite : Frédéric Verrières, formé au Conservatoire de Paris, s’était récemment fait connaître dans le petit milieu de la musique contemporaine par des retards de partition et ressemblait de plus en plus à un héros de Jorge Luis Borges essayant de réécrire perpétuellement les anciennes partitions des maîtres.

    L’argument enfin : le livret de Bastien Gallet promettait une relecture du film de John Cassavetes, Opening Night, mêlée à un canevas pirandellien où filtraient des échos à des musiques de Debussy, Purcell, Donizetti, doublé d’une réflexion sur le meilleur endroit où placer sa voix pour une chanteuse.

    Surprise ! Second Woman est un spectacle d’une lisibilité absolue et d’une si franche nouveauté (pour les canons du milieu lyrique) qu’il fait entrer la musique contemporaine, au même titre que le théâtre et la danse, de plein pied dans le monde culturel d’aujourd’hui.

    La réussite doit autant à Frédéric Verrières qu’à Bastien Gallet, qui réussit à créer les conditions de l’improvisation sans jamais abdiquer une véritable action dramatique. S’ouvrant sur un chant slave, l’opéra se divise en effet en trois parties distinctes : le premier acte est la répétition d'un opéra avec piano, le deuxième la répétition avec orchestre, le troisième acte l'opéra à proprement parler.

    C'est que la réflexion pirandellienne promise n’a ici rien de figé : les chanteurs s’appellent par leurs véritables prénoms, un drôle de metteur en scène (Philippe Smith) intervient depuis la salle et les actes tissent entre eux de pénétrants échos, qui font que si on ne comprend pas tout ce qu’il se passe sur la scène, l’œil et l’oreille, eux, ne sont jamais perdus. Et en plus, on rit !

    Ce qu’il y a de plus touchant dans Second Woman, c’est le décloisonnement musical voulu par le compositeur. On se souvient que Gérard Pesson avait tenté, il y a quelques années au Châtelet, la rencontre entre des chanteurs lyriques et des chanteurs de la Star Academy (et encore avait-elle été imposée par le directeur du Châtelet) avec une incompréhensible parcimonie.

    Ici, sans rien abdiquer d’une esthétique contemporaine, Verrières va droit au but. Et nous de nous interroger : pourquoi diantre les compositeurs contemporains choisissaient des sujets historiques ou préféraient jusqu’alors composer des paraboles littéraires plombées par l'esprit de sérieux, en se cantonnant le plus souvent à un Sprechgesang hérité de la Seconde École de Vienne, alors que Second Woman réussit à mêler le timbre léonin de Véronique Samson (soit un tic vocal connu de tous) avec la pureté cristalline du chant lyrique ?

    À rebours de nombreux opéras symphoniques, Frédéric Verrières a fait de la voix le sujet principal de son ouvrage. On y chante à plein poumons, on y respire des airs de colorature, des ballades avec pianos, mais aussi des berceuses de chant traditionnel, mêlées à des échos de beat box ou de récitatif contemporain.

    Portées par une culture et une science de la construction qui n'appartient qu'à un compositeur savant, les citations qui parsèment l’ouvrage deviennent si indiscernables qu'elles aboutissent à un vrai cocktail postmoderne qui nie les hiérarchies et les certitudes musicales. Verrières ne pastiche ni ne détourne, il mélange.

    La partie instrumentale est à l'avenant : techno-pop doublée par un ensemble instrumental, musiques bruitées à la Lachenmann, rhombes pessoniennes, clusters de piano... Second Woman réussit la rencontre inespérée de deux mondes et invite à l'ouverture et à l'écoute.

    On nous reprochera sans doute un peu trop d’enthousiasme, d’autant que l’opéra tient grâce à son formidable esprit d’équipe (la mise en scène de Guillaume Vincent est en totale adéquation avec le formidable ensemble Court Circuit dirigé par Jean Deroyer) et surtout grâce à son extraordinaire troupe de chanteurs comédiens : Elizabeth Callao (en cantatrice menacée), Jean Sébastien Bou (irrésistible en baryton maladroit), Jeanne Cherhal (à l'aise dans tous les registres) et Marie-Ève Munger (lumineuse et malaisante colorature).

    Loin des essais académiques et des paraboles stériles, voilà le courant d’air frais dont l’opéra et la musique contemporaine avait besoin !




    Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
    Le 03/05/2011
    Laurent VILAREM

    Création de The Second Woman de Frédéric Verrières au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
    Frédéric Verrières (*1968)
    The Second Woman
    Livret de Bastien Gallet
    Ensemble Court Circuit
    Jean Deroyer, direction
    Guillaume Vincent, mise en scène

    Avec :
    Elizabeth Calleo (la cantatrice), Jean-Sébastien Bou (le baryton), Jeanne Cherhal (la chanteuse), Jean-Yves Aizic (le pianiste et répétiteur), Marie-Eve Munger (la colorature), Philippe Smith (le metteur en scène).

     


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