|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
|
Concert de musique de chambre autour de la pianiste Mitsuko Uchida au festival de Salzbourg 2011.
Salzbourg 2011 (3) :
Au clair de la lune…
Barbara Sukowa (Pierrot lunaire)
Le Notturno de Schubert, les Dichterliebe de Schumann, le Pierrot lunaire de Schoenberg : programme sublime s’il en est, servi ici par des artistes au firmament. Mais on déplorera certains choix interprétatifs et une volonté assez artificielle de modernité, sans lesquels on aurait peut-être passé la soirée la tête dans les étoiles.
|
|
Le renoncement de Barbe-Bleue
Frénésie de la danse
Clavecin itératif
[ Tous les concerts ]
|
Passé un désagréable retour sur terre avec un Steinway bien creux au regard des constellations sonores de graves charnus et de médiums colorés du Bösendorfer entendu lors du récital Mahler d’il y a quelques jours, on ne cessera d’être ébloui par le phrasé imaginatif, le travail sur les densités et surtout la rythmique d’une Mitsuko Uchida dosant magistralement le temps nécessaire pour énoncer la partition et les exigences de l’agogique stricte – chez Schumann en particulier, dans les mouvements évoquant la danse.
Malheureusement, le violon de Mark Steinberg sonne étrangement ténu, d’une justesse fébrile, dans un Notturno de Schubert distendu entre Nachtmusik somptueusement poétique au piano et rusticité bien trempée du violoncelle de Clemens Hagen, d’un poids aux attaques – volontiers démanchées – pas franchement viennois. À tel point qu’on croit en permanence que la voix supérieure est celle du violoncelle, le violon semblant remisé dans une discrète partie intermédiaire.
Plus problématiques encore, les Dichterliebe de Ian Bostridge sont à notre avis un contresens musical à peu près total. Qu’on ne nous accuse pas de craindre l’engagement sur le texte, ni d’ignorer l’ironie de Heine, celle de Schumann, ni surtout d’espérer dans ce répertoire un concert de musique vocale.
Passons donc sur les limites strictement vocales du ténor et même sur un allemand loin d’être impeccable : à la peine dans les graves de la partition, en difficulté dans un aigu ouvert et tendu, et d’une qualité de timbre globalement discutable, sans véritable chair, il défend évidemment une conception littéraire et théâtrale qui devrait dans l’absolu nous suffire.
Malheureusement, et malgré les trésors du piano d’Uchida, entre autres une coda de Im Rhein à couper le souffle, le choix d’un ton acerbe, de la colère permanente, du dégoût pour l’infidèle bien-aimée sans plus aucun émerveillement sincère, bref cette manière d’énumération mi-avinée mi-vitriolée des rancœurs envers une ex à présent honnie, loin de moderniser ou de théâtraliser, nient la totalité du projet ironique de Heine, savamment relayé par Schumann.
Le narrateur est absolument amoureux, sincère, il aspire de tout son cœur à un amour idéalisé avec emphase, et c’est précisément pour cela que le poète peut se moquer du romantisme de son personnage. Si ce dernier a lui-même ce recul, et se moque de ses amours de poète, l’ironie du cycle, subtile car imprégnée d’une vraie mélancolie, d’une vraie ambiguïté, et d’une vraie paranoïa – omniprésente dans le genre du Lied depuis la Belle Meunière –, se réduit à un déballage de souvenirs amers avec des copains dans une obscure taverne pendant l’Oktoberfest. Exit l’universalité.
Collusion de solistes
En deuxième partie, le Pierrot lunaire est un grand moment de musique de chambre, où ne subsiste aucune scorie d’équilibre telle que dans le Schubert du début. Uchida, toujours très attentive à la narration, galvanise son petit monde de l’intérieur et l’ensemble sonne vraiment comme une collusion de solistes gravitant autour du noyau du piano.
Les vents se mêlent admirablement avec le juste effet d’instrumentation moderne qu’on imagine voulu par le compositeur – la matière sonore est presque la même mais les modes d’attaque, en rondeur pour la clarinette, plus riche en souffle pour la flûte, sont très caractérisés.
Reste le choix de Barbara Sukowa, à qui ne manquent ni présence physique, ni engagement théâtral, ni même – plus rare chez une comédienne – impact rythmique. On connaît bien le dilemme entre chanteuse et comédienne, l’une chantant trop, l’autre pas assez. Le problème est ici l’inexistence d’une zone mixte entre voix de poitrine et voix de tête.
Les trois quarts de la partition se retrouvent ainsi dans une voix de poitrine aux limites du crié dès que la tessiture s’élève un peu, avec une matière du coup monochrome, et quelques aigus toujours de la même veine. Les intervalles de la partition semblent ainsi répétitifs par contagion, on a l’impression de toujours revenir sur les mêmes notes car les subtilités mélodiques ne sont pas réalisées.
Là encore, la modernité y gagne peut-être en apparence, mais certainement pas sur le fond. Ne pourrait-on, à l’heure où des chanteuses sont capables de chanter les partitions autrement plus complexes d’un Ferneyhough, entendre un vrai beau Sprechgesang maîtrisé et pas abandonné au profit d’une déclamation libre ?
| | |
|
Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 10/08/2011 Thomas COUBRONNE |
| Concert de musique de chambre autour de la pianiste Mitsuko Uchida au festival de Salzbourg 2011. | Franz Schubert (1797-1828)
Trio pour violon, violoncelle et piano en mib majeur D 897 « Notturno »
Mark Steinberg, violon
Clemens Hagen, violoncelle
Mitsuko Uchida, piano
Robert Schumann (1810-1856)
Dichterliebe, op. 48
Ian Bostridge, ténor
Mitsuko Uchida, piano
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Pierrot lunaire, op. 21
Barbara Sukowa, récitante
Marina Piccinini, flûte
Anthony McGill, clarinette
Mark Steinberg, violon
Clemens Hagen, violoncelle
Mitsuko Uchida, piano | |
| |
| | |
|