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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Reprise du Così fan tutte de Mozart mis en scène par Claus Guth, sous la direction de Marc Minkowski au festival de Salzbourg 2011.
Salzbourg 2011 (8) :
On efface tout…
Loin des retouches modestes, Claus Guth remanie en profondeur son Così fan tutte de Salzbourg avec au passage une nouvelle équipe musicale. Si les oreilles n’y gagnent pas franchement, en revanche la force du spectacle fait mouche avec le même impact que les deux autres volets d’une trilogie Mozart-Da Ponte désormais parfaitement aboutie.
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Travail d’atelier s’il en est, ce Così fan tutte nouveau modèle n’est en rien un désaveu de la mouture précédente immortalisée au DVD : il s’agit du prolongement de la réflexion du metteur en scène, d’une saison à l’autre, avec les conséquents changements de scénographie nécessaires.
Exit donc le saupoudrage anecdotique de monde contemporain, la beuverie, la déco bobo, le mobilier même ; on est ici dans un univers absolu, laboratoire épuré concocté par les anges noirs Alfonso et Despina qui entendent une fois de plus – et à leur propre désespoir, ce qui n’est pas la moindre trouvaille du metteur en scène – démontrer que l’amour n’est que logique et affaire de plaisir.
L’expérience de la désillusion s’en trouve comme déshabillée, et l’action, d’autant plus lisible, se fait mystique et glacée, entre les saisissantes allégories Renaissance des anges en apesanteur au-dessus de l’humanité, la sauvagerie des faux Albanais échappés de l’inquiétante forêt de Don Giovanni, les retrouvailles désabusées.
On ne rendra pas compte des innombrables images, trouvailles, symboles et surtout passerelles entre opéras de la trilogie, scènes de l’opéra, personnages, situations ; il suffira de rappeler l’intelligence des précédents opus, et même de l’ancien Così, ici en épure de lui-même, pour comprendre que cohérence est le maître mot du cycle revitalisé par une conclusion allant cette fois droit à l’essentiel.
Aussi oubliera-t-on bien vite une interprétation musicale seulement soignée ; les intentions délicates et mélancoliques de Marc Minkowski s’épuisent souvent dans un geste inefficace et un tempo brouillon – on ralentit et on se décale dès que la nuance diminue – et si quelques pages poétiques émergent, c’est au prix de nuances où l’on sent les chanteurs en péril, et d’une mise en place approximative.
Les Musiciens du Louvre, très en timbres, ronronnent dans des cordes toujours étales et des articulations moelleuses, à l’exception notable du pianoforte ludique de Francesco Corti – introduction du II très bien vue –, totalement moteur dans le début du final.
Les chanteurs enfin sont assez loin du niveau de Salzbourg, mais font preuve d’un engagement total. Bo Skovhus retrouverait même un peu de sa superbe vocale d’antan –Soave – mais c’est surtout par une présence intense et une classe inégalée, qui rappellent au passage le Comte qu’il était dans la première série des Noces de Figaro, irrigué de la même détresse, pleurant en tapinois quand les amoureux se séparent.
Plus que par une voix inégale, tantôt verte et poitrinée haut, tantôt élargie, Anna Prohaska habite avec sarcasme et caprice le personnage entièrement neuf d’une Despina trop cinglante pour être sincère, au fond sensible au malheur des humains, brisée d’émotion pendant l’air de Ferrando, récitant dans une détresse rageuse à quel point l’amour est – devrait être – simple badinage.
Les filles sont quelque peu disparates, le mezzo vibrant de Michèle Losier, tantôt dur et strident, tantôt charnu et lumineux, éminemment passionnel – Smanie implacabili sur la balustrade au-dessus du vide – répondant assez curieusement au moelleux – qui rappellerait le chant ciselé de Malin Hartelius, aboutissement en moins – de Maria Bengtsson, Fiordiligi plus déchirée, en intériorité dans sa confrontation avec les profondeurs sylvestres de l’inconscient.
De son côté, Alek Shrader alterne vilaines nasalités – Un’aura amorosa – avec quelques joliesses dans le piano, mais prodigue une émission toujours ouverte qui a au moins le mérite d’un certain naturel, tandis que Christopher Maltman, décidément voix de Don Giovanni, confère une violence tout sauf comique à un Guglielmo tragique volontiers dans l’imprécation.
Loin d’une reprise, c’est un nouveau Così à la fois plus abouti et surtout plus cohérent avec les deux précédents opéras que nous propose un metteur en scène décidément parmi les plus intelligents de la scène lyrique contemporaine.
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