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CRITIQUES DE CONCERTS |
15 septembre 2024 |
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Jusqu’au 15 janvier, la Cité de la Musique consacre à Paul Klee une exposition mettant en exergue la part immense qu’occupait la musique chez le peintre suisse, excellent violoniste pour qui la réflexion sur l’oreille et le phénomène sonore comptait autant que ses recherches sur la couleur, le trait, les volumes.
Il était donc tout naturel, dans le sillage des exemples musicaux de l’exposition, de présenter du répertoire qui tenait à cœur à l’artiste dans le tout proche Amphithéâtre du complexe de Christian de Portzamparc. Vaste cycle musical de cet automne, où le Quatuor Pražák propose ce soir trois visions de la Vienne musicale.
Brahms tout d’abord, et son Premier Quatuor, ouvrage dense, d’une réelle complexité contrapuntique, où l’obstination et un romantisme enflammé rivalisent de grandeur. Les Pražák semblent d’abord avoir du mal à trouver la franchise de leurs attaques et la justesse d’un premier violon qui, bien qu’affinée en cours de soirée, ne sera jamais complètement au rendez-vous.
Confortable, le jeu pourrait être plus net et mordant, même si la qualité d’ensemble et un certain lyrisme typique de l’Europe centrale offrent déjà largement matière à satisfaction. Mais quand les quatre compères daignent empoigner la partition à bras le corps, cela donne un Finale magistral de tension, de vie, d’engagement.
Le programme annonce ensuite le Quatuor Hoffmeister, vingtième du catalogue de Mozart, alors que les Pražák donneront en réalité le Quatuor n° 21, premier de la série des Prussiens, qui partage avec le précédent la même tonalité de ré majeur. Petit souci de communication sans grande conséquence, tant on se délecte du plus beau legato possible dans la phrase introductive de l’Allegro liminaire.
Ce Mozart de tradition, magnifiquement chantant, jusque dans un Andante radieux de sérénité, peut apparaître un rien altmodisch, mais conserve un sens des proportions, une élégance aristocratique qui font merveille – les gammes descendantes du violoncelle dans l’Allegretto final, le détaché mythique des instrumentistes tchèques.
Après l’entracte, Berg et le chef-d’œuvre absolu qu’est sa Suite lyrique, véritable journal intime de la relation adultérine qu’entretenait l’auteur de Wozzeck avec une femme mariée. Là encore, les Pražák affichent clairement leur appartenance à une tradition ancrée dans les années 1970.
N’ayant que faire de la radiographie sonore, de la restitution maniaque des nuances écrites ou des incessants changements de tempo, les musiciens pragois privilégient la ligne globale, le climat plus que l’alliage sonore – le second violon, merveilleusement expressif sur la citation de la Symphonie lyrique de Zemlinski dans l’Adagio appassionato.
Une lecture très généreuse, souvent un peu approximative et guère expressionniste, portée par un intense vibrato et une pâte sonore largement tributaires du postromantisme, qui garde comme ligne directrice l’expressivité aux dépens de la modernité – les flautando, col legno liés, notes sur le chevalet souvent à peine audibles ; les nuances extrêmes, plutôt comprimées.
Fidèles à la redécouverte en 1977 d’une première mouture adjoignant au Largo desolato une ligne vocale sur une traduction du De Profondus Clamavi de Baudelaire, les Pražák proposent la version avec soprano du dernier mouvement, bien mal servie ici par les éclats démesurés de la grosse voix d’Alda Caiello, mais qu’on aimerait réentendre tant elle offre un complément intéressant à la version traditionnelle.
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Cité de la Musique, Paris Le 26/10/2011 Yannick MILLON |
| Concert du Quatuor Pražák dans le cadre de Paul Klee Polyphonies à la Cité de la Musique, Paris. | Johannes Brahms (1833-1897)
Quatuor à cordes n° 1 op. 51 n° 1 (1873)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Quatuor à cordes n° 21 en ré majeur K. 575 (1789)
Alban Berg (1885-1935)
Lyrische Suite (1927)
Alda Caiello, soprano
Quatuor Pražák
Pavel Hůla, violon I
Vlastimil Holek, violon II
Josef Klusoň, alto
Michal Kaňka, violoncelle | |
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