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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 mars 2025 |
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Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de la production Jean-Pierre Ponnelle de la Cenerentola de Rossini sous la direction de Bruno Campanella.
Bel canto dans la joie
Enfin un spectacle d’opéra où l’on peut rire comme le souhaitaient librettiste et compositeur ! Totalement présent dans cette mise en scène qui vient de l’Opéra de Munich, le génie de Jean-Pierre Ponnelle donne une leçon de théâtre lyrique à bon nombre de ses collègues plus prétentieux que talentueux qui encombrent les scènes depuis sa disparition en 1988.
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On entend déjà les rires méprisants de toute une génération noyautant cette intelligentsia parisienne pour qui aller à l’opéra est tout sauf un divertissement.
Aujourd’hui, pour être dans le ton, il faut surprendre à tout prix, de préférence en racontant une autre histoire que celle imaginée par les créateurs et en substituant à leur propos des fantasmes et des frustrations qui devraient rester entre les murs du cabinet psychiatrique de penseurs torturés plus préoccupés par leur nombril que par les spectateurs auxquels ils s’adressent et par la musique qu’ils sont censés servir.
Immense joie donc en voyant ce spectacle à la fois original et jubilatoire, servant aussi bien une partition pas facile à défendre qu’un livret assez mal bâti, il faut le reconnaître. Curieuse façon, en effet, de commencer en quelque sorte par la fin de l’histoire, en révélant d’emblée toutes les ficelles qui vont alimenter et animer l’intrigue. On sait ainsi tout de suite ce qui va arriver et comment.
Mais peu importe, car il y a ici un ensemble de vrais personnages de comédie pour lesquels Rossini et Ferretti ont conçu une musique et des situations qui permettent un vrai jeu théâtral hérité de la Commedia dell’arte et que Ponnelle, décorateur et metteur en scène, traite avec un art accompli, suivi par une excellente distribution de chanteurs-acteurs.
Dans une esthétique comme toujours assez piranésienne, où dominent le noir et le blanc, avec un dispositif scénique simple mais astucieux et très fonctionnel, des costumes volontairement on ne peut plus figuratifs et historiques, Ponnelle lance ses personnages avec un humour acerbe, corrosif, joyeux, qui déclenche souvent le rire dans la salle, phénomène très rare sous les ors de Garnier aujourd’hui.
La vie foisonne en permanence et l’on oublie vite tout ce qui est fabriqué dans cette histoire que l’on connaît d’ailleurs par cœur, pour se divertir des rocambolesques comportements de cette société miniature durement caricaturée par le musicien et le librettiste. Le spectacle est remarquablement réalisé par Grischa Asagaroff, ancien collaborateur de Ponnelle et directeur artistique du festival de Salzbourg depuis octobre dernier.
On attendait avec intérêt Karine Deshayes dans le rôle-titre. Si l’on accepte un grave plus effleuré que très présent mais toujours parfaitement musical, on ne peut qu’admirer l’intelligence, le raffinement, la maîtrise technique et théâtrale de la cantatrice. Elle a du charme, beaucoup, du naturel, tout autant, un art du chant accompli, toujours en finesse et où la musique prime, souffle et phrasé d’un style bien belcantiste.
Le médium et l’aigu jaillissent allégrement, charnus, colorés, d’un grave qui, encore une fois, manque encore un peu d’appui, de consistance, même si l’artiste a raison de ne pas poitriner à ce stade de la carrière. On ne lui demande pas de jouer les Marilyn Horne, mais, peut-être, d’affermir un peu cette partie du registre pour que cette interprétation qui touche déjà à la perfection soit encore plus aboutie.
Déjà remarqué dans la Somnambule aux côtés de Natalie Dessaye, le jeune ténor mexicain Javier Camarena a gagné en sûreté et en onctuosité. La voix est solide et sans problèmes sur toute la tessiture, encore un peu claironnante par instants, mais il vocalise bien, chante avec goût, et son physique de petit garçon en fait ici un prince très touchant.
Tous les autres protagonistes sont parfaits, Carlos Chausson méchant papa ignoble à souhait, Riccardo Novaro (Dandini), Alex Esposito (Alidoro) voix excellentes pour ce répertoire et excellents comédiens, tout comme les deux sœurs Jeannette Fischer (Clorinda) et Anna Wall (Tisbe), marrantes, parvenant à fort bien chanter malgré leur faux nez et les mille pitreries voulues part le metteur en scène.
Au pupitre, Bruno Campanella sait faire ressortir tout ce que la partition a de finesse, de beautés instrumentales individuelles, dans un traitement quasi musique de chambre très adéquat avec des tempi d’une grande vivacité. L’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra sont eux aussi dans leur meilleure forme. Bref, une soirée qui ouvre une fenêtre ensoleillée dans la morosité ambiante.
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