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CRITIQUES DE CONCERTS |
13 octobre 2024 |
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Nouvelle production de la Chartreuse de Parme de Sauguet dans une mise en scène de Renée Auphan et sous la direction de Lawrence Foster à l’Opéra de Marseille.
La Chartreuse réhabilitée ?
La Chartreuse de Parme d’Henri Sauguet renaît à l’Opéra de Marseille dans une production très cinématographique de Renée Auphan, avec une distribution qui rappelle le film de Christian-Jaque (Renée Faure, Maria Casarès, Gérard Philipe), au service d’une musique aux courbes mélodiques attachantes, qui mériterait une réhabilitation durable.
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Pourquoi a-t-on oublié Sauguet ? Pourquoi ne reste-t-il de lui que la musique du ballet les Forains dont Roland Petit a tiré une chorégraphie ? Délaissé, Henri Sauguet (1901-1989), compositeur de la Chartreuse de Parme, serait passé à la trappe de l’histoire musicale si la metteur en scène Renée Auphan, ancienne directrice de l’Opéra de Marseille, n’avait proposé une nouvelle production de cette œuvre. C’est une recréation.
Issue d’un monument de la littérature publié par Stendhal en 1839, cette Chartreuse version lyrique n’a guère eu de chance. On l’a parfois qualifiée d’opéra fantôme. Cent ans après le roman, en 1939, l’opéra fut créé au Palais Garnier avec, dans le rôle de Sanseverina, la wagnérienne Germaine Lubin. La veille de la répétition générale, le 16 mars 1939, la Wehrmacht était entrée à Prague et Hitler occupait la Tchécoslovaquie.
Inutile de dire que cet opéra sentimental ne retint guère l’attention. La Chartreuse fut reprise en 1968 lors des Jeux olympiques d’hiver à Grenoble, ville stendhalienne par excellence, mais en l’occurrence plus occupée de sport que d’art lyrique. Ce fut un nouveau faux départ. Qu’en sera-t-il cette fois, quarante-quatre ans plus tard ? La musique et l’écriture vocale sont si difficiles et demandent tant d’implications stylistiques et artistiques qu’on en doute.
En tailladant dans le volumineux roman, Sauguet et son librettiste, l’écrivain et philosophe provençal Armand Lunel (1892-1977), ont supprimé le contexte politique des guerres napoléoniennes. « J’ai fait sauter les ronces et les épines de la politique et je n’ai gardé que le sentiment, la romance et la poésie », dira le compositeur.
Demeure la trame sentimentale sur fond de romantisme italien. En fragmentant le récit en dix tableaux, les auteurs ont enlevé l’intensité dramatique. Le livret, très littéraire, accumule pesamment adjectifs et adverbes presque impossibles à chanter. Fort longue – plus de trois heures – cette Chartreuse possède certes une séduction musicale. En électron libre, Sauguet pioche partout.
Transparente, lumineuse, la mélodie jaillit d’une manière spontanée dans un miroitement poétique et une sensualité charnelle que fait ressentir l’orchestre conduit par Lawrence Foster. Reste l’ingénieuse mise en scène de Renée Auphan, réalisée sur deux niveaux. Les tableaux s’enchaînent comme un roman-photo en un découpage cinématographique. Quant aux décors et aux costumes, ils évoquent le charme de l’Émilie-Romagne.
Des souvenirs hantent cette distribution : ceux de Gérard Philipe, de Maria Casarès et de Renée Faure dans le film de 1948 de Christian-Jaque que le petit écran vient très à -propos de rediffuser.
Dans De l’Amour, Stendhal a inventé la « cristallisation » pour décrire le phénomène d’idéalisation de l’être aimé. Celui-ci apparaît alors non pas tel qu’il est mais tel qu’on le souhaite. C’est aussi le fondement de la Chartreuse, dans le texte comme dans l’écriture musicale.
La naïveté du jeune Fabrice contraste avec l’ironie sarcastique de Sauguet. L’adorable Fabrice se situerait-il entre Quinquin du Chevalier à la rose le Chéri de Colette ? Le jeune ténor Sébastien Guèze, avec son physique d’adolescent fougueux et tendre, son allure à la Gérard Philipe, incarne parfaitement le personnage couvé par sa tante quasiment incestueuse, la duchesse de Sanseverina, et par l’amour fou de Clélia.
Celle-ci a le charme diaphane de Nathalie Manfrino, tandis que Marie-Ange Todorovitch possède la splendeur troublante, la sensualité physique et vocale de la Sanseverina. Les seconds rôles sont des voix bien connues : Nicolas Cavallier est un pathétique Mosca, Jean-Philippe Lafont un terrifiant Conti et Sophie Pondjiclis, bien qu’elle n’ait que peu à chanter, une convaincante Théodolinde.
En dépit de quelques longueurs, notamment le final avec l’indigeste sermon de Fabrice réfugié à la Chartreuse de Parme, l’opéra de Sauguet méritait cette renaissance. On est encore loin d’une vraie réhabilitation. Elle devrait venir tant cet opéra, sans être le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, se révèle un jalon dans l’histoire musicale française. Mais pour l’instant, pas de reprise en vue !
Le manque d’audace des directeurs d’opéras de région pourrait expliquer cette frilosité. Que n’ont-ils un peu plus d’esprit d’entreprise ! Pourquoi le ministère de la Culture ne s’investit-il pas davantage ? Pourquoi n’insiste-t-il pas pour qu’une telle production réalisée avec des crédits publics et donnée seulement pour quatre représentations à Marseille soit programmée dans d’autres opéras à Lille, à Nice, à Rouen, à Toulouse ?
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Opéra, Marseille Le 08/02/2012 Nicole DUAULT |
| Nouvelle production de la Chartreuse de Parme de Sauguet dans une mise en scène de Renée Auphan et sous la direction de Lawrence Foster à l’Opéra de Marseille. | Henri Sauguet (1901-1989)
La Chartreuse de Parme, opéra en quatre actes (1939)
Livret d’Armand Lunel d’après le roman de Stendhal
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Marseille
direction : Lawrence Foster
mise en scène : Renée Auphan
décors : Bruno de Lavenère
costumes : Katia Duflot
Ă©clairages : Laurent Castaingt
Avec :
Nathalie Manfrino (Clélia Conti), Marie-Ange Todorovitch (Gina), Sophie Pondjiclis (Théodolinde), Sébastien Guèze (Fabrice del Dongo), Nicolas Cavallier (le Comte Mosca), Jean-Philippe Lafont (le Général Conti), Éric Huchet (Ludovic), Jacques Calatayud (Barbone), Antoine Garcin (le Maréchal des logis), Bruno Comparetti (un gendarme), Frédéric Leroy (un geôlier). | |
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