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CRITIQUES DE CONCERTS |
09 décembre 2024 |
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Reprise de Pelléas et Mélisande de Debussy dans la mise en scène de Robert Wilson, sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Une lumière singulière
Magie intacte pour le Pelléas de Bob Wilson, dont l’esthétisme épuré des éclairages et des costumes semble défier les ans. À l’opposé de la dernière reprise émerge de la fosse la lecture toute de lumière de Philippe Jordan, qui signe l’une de ses plus grandes réussites. Seul le plateau déçoit, surtout mesuré au souvenir de 2004.
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En ouverture de sa première saison à la tête de l’Opéra de Paris, Gerard Mortier, réputé s’intéresser modérément au chant, avait proposé une reprise du Pelléas et Mélisande de Bob Wilson dotée de l’un des plus beaux trios de tête qu’on ait entendus.
On ne résiste donc pas au jeu des comparaisons pour le retour du spectacle huit ans plus tard sur la scène de la Bastille sous le mandat de Nicolas Joel. Entre-temps, José van Dam a mis un terme à sa carrière, sans que la relève ne soit assurée à ce degré d’intelligence musicale.
Vincent Le Texier campe certes un Golaud torturé, dont le faciès, sous un incroyable maquillage, évoque un vampire asexué, rongé et fascinant. Mais la voix apparaît encombrante, l’émission et la diction paresseuses, en retard sur l’orchestre, au-delà d’une réelle volonté de prodiguer des nuances, plus que louables même dans le haut registre du V.
Après le personnage irréel et hypnotique de Mireille Delunsch, la Mélisande d’Elena Tsallagova apparaît bien univoque de séduction, son soprano lyrique-léger ne brillant que par une pureté virginale cantonnée aux effets à la mode – vibrato retardé, notes par-dessous. Un joli timbre, des efforts de prononciation louables, ne parviennent à masquer vraiment les approximations du français – nasales, « e » muets, consonnes trop allongées.
Julie Mathevet – qui succède à un petit maîtrisien autrement convaincant en scène – semble avoir le timbre, le débit et l’innocence d’Yniold, mais se perd dans la nef de la Bastille, engloutie par un orchestre pourtant jamais tonitruant, inexistante face à Golaud.
Anne Sofie von Otter donne de toute sa superbe en Geneviève aristocratique, à la voix quelque peu décharnée mais à l’éloquence manifeste, à l’articulation manifestement soignée. En revanche, l’Arkel de Franz-Josef Selig, au creux d’être immémorial, ne donne pas longtemps le change, s’échouant bien vite dans des inflexions de Gurnemanz, noyées dans l’onction pâteuse d’une émission typiquement germanique.
Reste le Pelléas de Stéphane Degout, grand baryton lyrique français de notre époque, dont on n’a cessé de souligner la qualité incontestable du chant, la tenue du souffle, la maîtrise des résonateurs, des voyelles, l’homogénéité absolue de l’émission, et cette ligne proprement miraculeuse. On peut, et l’on doit même fêter cet artiste sans concurrence dans nos frontières à l’heure actuelle.
Et pourtant, Pelléas, ce n’est pas cela. Le rôle appelle une couleur anti-opéra, une émission peu couverte, et la rare couleur bâtarde d’un baryton-martin, qui sont l’opposé de la vocalité de Degout, par trop traditionnelle et opératique, butant contre la volonté de Debussy de rompre avec les canons lyriques français.
Par abus de somptuosité, ce chant nuit au final à la singularité de l’ouvrage, la même singularité qu’exalte justement dans la fosse Philippe Jordan, qui, outre le spectacle, toujours aussi sublime dans son épure et une image finale parmi les plus fortes vues de vie de mélomane, reste l’atout de cette reprise.
Si l’on a souvent reproché au chef suisse des textures vaporeuses jusqu’à l’inconsistance, il semble ici trouver le diapason de l’univers des sonorités d’alchimiste de Debussy. Passons sur la lenteur du I, aux silences calculés, d’une régularité métrique contraignant le plateau à une déclamation artificielle, et où d’ailleurs l’orchestre, assez peu concentré, commet quelques fausses entrées.
Attardons-nous plutôt sur un art fabuleux de la couleur, de la touche, qui ne cessera d’éblouir : cordes juste assez ramassées, vents en état de grâce, en particulier des flûtes opalescentes comme jamais – la fontaine –, harpes caressantes, le tout dans des teintes irréelles et une clarté miraculeuse – aux antipodes des eaux marécageuses de Sylvain Cambreling – par delà une descente dans les souterrains angoissante par la seule précision de ses rythmes.
Peu de théâtre certes jusqu’à un IV d’une belle urgence, à l’affût, aux vives saillies, avant un V susurré, murmuré comme un office des morts. Un accomplissement majeur pour le directeur musical de l’Opéra, qu’on espère retrouver intact dans la retransmission en direct sur Internet le 16 mars.
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