|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
14 octobre 2024 |
|
Passion selon saint Jean de Bach par le Concert Lorrain et le Nederlands Kamerkoor sous la direction de Christoph Prégardien à l’Arsenal de Metz.
La Passion selon Christoph
Sur les traces de Peter Schreier, Christoph Prégardien, l’Évangéliste de sa génération, dirige pour la première fois la Passion selon saint Jean de Bach, à la tête du Concert Lorrain et du Nederlands Kamerkoor. Vision d’une parfaite éloquence qui, malgré les faiblesses du plateau soliste, trouve sa voie dans les turbae et les chorals.
|
|
Wozzeck chez Big Brother
L’art de célébrer
Géométrie de chambre
[ Tous les concerts ]
|
En 2008, Christoph Prégardien chante l’Évangéliste dans la Passion selon saint Jean de Bach avec le Concert Lorrain confié aux soins de Pierre Cao, et émet l’idée, sinon le désir, de la diriger lui-même un jour. Codirecteur artistique de l’ensemble, Stephan Schultz le prend immédiatement au mot, et fixe le rendez-vous pour 2012. Le temps de réunir un chœur et une distribution idoines, d’organiser une tournée – pas moins de treize dates, et dans les lieux les plus prestigieux – et surtout de permettre au chef débutant de se préparer à l’ascension du « petit » Golgotha du Cantor de Leipzig.
Nul ne le connaît mieux, peut-être, que le ténor allemand, l’Évangéliste de sa génération – Jean et Matthieu confondus –, et qui a prêté sa voix aux interprétations les plus variées, jusqu’à réconcilier des esthétiques antagonistes. Mais qu’allait être sa propre vision ? Les chanteurs qui l’ont précédé dans cet exercice, au premier rang desquels Peter Schreier, qui non content de diriger prenait en charge les airs et le récit évangélique, ont marqué l’œuvre d’un point de vue singulier.
À cette aune, le chœur initial laisse perplexe, et même inquiet, qui refuse d’exposer les enjeux du drame. Geste empesé garant d’une pulsation régulière diluant les contours et les dissonances, c’est-à -dire toute tentative de traduire les aspérités du discours. Le Nederlands Kamerkoor est infaillible, représentant d’une haute tradition, le Concert Lorrain un peu moins, qui cherche des appuis plus marqués, parfois aussi sa justesse.
Où sont la croix, la couronne d’épines, le poids du pêché original ? Notre mémoire n’aura cessé, du moins dans la première section du chœur, d’appeler une autre scansion, d’autres accents sur lesquels s’est fondé notre rapport à l’œuvre, et qui ont ancré en nous une articulation, des couleurs plus incisives.
La voix par laquelle résonnent les premiers mots de l’Évangéliste n’est pas moins déstabilisante – parce qu’on avait cru, l’espace d’un instant, et inconsciemment, que Christoph Prégardien allait finalement, inévitablement, les prononcer.
Le timbre, l’expression de James Gilchrist sont aux antipodes, d’émission moins sèche, plus souple, très anglaise en vérité, et qui d’abord semble un rien distante, presque ornementale, mais trouve, en écho aux premières interventions de Jésus, le juste poids du récit. À la manière classique, orante héritée d’Anthony Rolfe Johnson – sans donc la dimension hallucinée d’Ian Bostridge, ou l’humanité souffrante de Mark Padmore.
Cette esthétique de chant plus actuelle, c’est-à -dire théâtrale, ou plutôt imagée, quasi expressionniste même – en fait une rhétorique –, c’est à Dietrich Henschel qu’il revient de l’incarner. Parfois jusqu’à la caricature, quand l’incapacité manifeste à produire ne serait-ce qu’un son sain et vibrant se veut une leçon d’éloquence torturée. Pour Pilate, c’est imparable – qui plus est face au Christ pétri d’onction de Yorck-Felix Speer. Mais dans les airs de basse, Betrachte, meine Seel’ et Mein teurer Heiland, surtout, c’est rédhibitoire.
Même visage, à défaut de l’allure svelte, qu’à sa sortie de la Schola Cantorum Basiliensis, Andreas Scholl a l’air, et seulement l’air, de ne pas changer. Car le timbre a perdu la pureté de sa lumière pâle, et ce frémissement singulier qui dans Bach étaient tout simplement une évidence. Von den Stricken est impeccablement phrasé, mais trop confidentiel, quand Es ist vollbracht !, si simple et prégnant dans son dialogue à nu avec la viole de gambe intensément pudique d’Ulricke Becker, achoppe non pas sur l’agilité, mais l’orchestre du vivace central. Plus lointain encore est le souvenir du soprano gracile de Ruth Ziesak, comme aigri dans ses lignes – et mines – étriquées.
Maigre bilan du point de vue solistique, que ne relève pas non plus le ténor feutré d’Eric Stoklossa. Et pourtant, cette lecture frappe par son éloquence. Dans les turbae – chœurs et orchestre dans un même élan, auquel le violoncelle de Stephan Schultz est rien moins qu’étranger – et plus encore dans les chorals, dont la dynamique étreint le moindre mot. C’est en renforçant le poids musical du verbe, celui, d’abord, de la foule et des fidèles, que Christoph Prégardien trouve sa propre voie dans la Passion selon saint Jean. Point de vue d’Évangéliste, assurément, qui donne et transmet la parole.
Prochaines dates en France :
5 avril, Chapelle de la Trinité, Lyon ; 7 avril, Cité de la musique, Paris.
| | |
|
Arsenal, Metz Le 23/03/2012 Mehdi MAHDAVI |
| Passion selon saint Jean de Bach par le Concert Lorrain et le Nederlands Kamerkoor sous la direction de Christoph Prégardien à l’Arsenal de Metz. | Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Johannes-Passion (1724)
James Gilchrist (Evangéliste)
Benoît Arnould (Christ)
Dietrich Henschel (Pilate, airs de basse)
Ruth Ziesak, soprano
Andreas Scholl, alto
Eric Stoklossa, ténor
Nederlands Kamerkoor
Le Concert Lorrain
direction : Christoph Prégardien | |
| |
| | |
|