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CRITIQUES DE CONCERTS |
10 décembre 2024 |
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Création mondiale de Caravaggio de Suzanne Giraud en version de concert sous la direction de François-Xavier Roth à l’Opéra de Metz.
Caravage à la pointe sèche
Excellente surprise que ce Caravaggio donné en version de concert à l’Opéra de Metz. Suzanne Giraud réussit là où d’autres échouent : bon livret, remarquable équilibre scène-fosse et musique d’une impressionnante variété de climats. Philippe Jaroussky incarne un Caravage à la fois génie et mauvais garçon, et trouve là de nouvelles couleurs inouïes.
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On pouvait craindre le pire : un opéra de deux heures trente donné en version de concert, par une compositrice qui n’avait jamais écrit une œuvre aussi longue. Il n’en est rien, Caravaggio est une excellente surprise.
Après le Vase de parfums, son premier opéra d’après une pièce d’Olivier Py, Suzanne Giraud s’est rapprochée d’un nouvel écrivain, Dominique Fernandez, pour un résultat autrement probant. Créé sans mise en scène à l’Opéra de Metz, Caravaggio s’inspire du roman la Course à l’abîme, qui raconte la vie turbulente du peintre romain avec une action et un langage sans fioritures.
Dès l’introduction, l’ambition de la compositrice saute à la gorge. Il y a même quelque chose du Messiaen de Saint François d’Assise dans ce chœur énumératif qui décrit avec une force peu commune les préjugés qu’on attribue à la vie du Caravage. La réussite de Giraud tient précisément dans sa volonté de s’en tenir à un opéra en bonne et due forme.
Ici, nul fleuve symphonique où un orchestre s’extrait de la fosse comme dans le récent Akhmatova de Mantovani, pas non plus de préciosités maniéristes dans l’écriture vocale comme dans la toute fraîche Cerisaie de Fénelon. Giraud alterne les épisodes avec une grande variété de climats. La vie tumultueuse du Caravage est racontée ici non à la manière d’un biopic avec scène finale gore (le peintre meurt décapité) mais plus au travers des différents tableaux qui ont jalonné sa vie et qui sont donnés ici à revivre.
L’orchestre, où cohabitent instruments baroques et modernes, n’a rien du gadget. Au contraire, le mélange des sonorités apporte une sécheresse d’intonation, une vivacité et une étonnante diversité de couleurs.
On regrettera en revanche des scènes d’épanchement amoureux où la rigueur de l’écriture se montre brusquement scolaire et étouffante. De même, la trajectoire de l’opéra est si tendue qu’on en vient à déplorer une scène finale superflue, la précédente s’achevant sur la décapitation formant un final autrement saisissant.
Au niveau du langage, on se trouve à la croisée des chemins : magnifique thème en quart de tons qui revient à la manière de Berg, grands interludes instrumentaux, mélodies archaïsantes à la Saariaho, résonances spectrales avec un hommage appuyé aux Quatre chants pour franchir le seuil de Grisey, vélocité héritée du maître de Giraud, Franco Donatoni, sans que ces références modernistes n’étouffent une action passablement sulfureuse.
À la grande différence des ouvrages lyriques vus récemment, Caravaggio n’a rien d’expressionniste ou d’uniment planant. Au contraire, le spectateur est accompagné et se voit ménager des pauses bienvenues. Ni sérielle, ni spectrale, ni néo-tonale, Suzanne Giraud est créatrice indépendante et à ce titre, ne s'assujettit pas à une esthétique monochrome.
L’autre grande réussite de la soirée tient dans son interprétation. Sous la direction experte de François-Xavier Roth, les Siècles se montrent une nouvelle fois impressionnants de précision et de ductilité. L’équipe vocale est fortement caractérisée.
Outre les interventions impeccables de Luc Bertin-Hugault et Alain Buet, on garde en mémoire l’émouvante Maria Riccarda Wesseling dans les rôles d’Anna et Filide, la subtile méchanceté du ténor Anders Dahlin dans le rôle de l’amant du Caravage, et surtout, Philippe Jaroussky qui, dans le rôle-titre, trouve ici un magnifique emploi.
Avec une réelle gourmandise des mots de la langue française, le contre-ténor brosse le portrait d'un personnage profondément libertaire et indiscipliné, aux antipodes de l’angélisme souvent associé à sa vocalité dans le répertoire baroque.
Au final, nous voici face à un excellent ouvrage, dont l’impact pourrait être démultiplié par une mise en scène. Sujet en or, équipe vocale étincelante, chef et orchestre parfaits, qu’attendent les théâtres pour programmer Caravaggio dans les saisons à venir ?
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