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CRITIQUES DE CONCERTS |
11 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l’Histoire du Soldat de Stravinski dans une mise en scène de Jean-Christophe Saïs et sous la direction de Laurent Cuniot au Théâtre de l’Athénée, Paris.
A beaucoup marché…
Un conte musical à l’âpreté séduisante est joué, dit, chanté, mimé, dansé dans toute sa naïveté populaire. Tels ceux d’un petit théâtre ambulant, ses interprètes nous offrent un spectacle dont l’inquiétante étrangeté est fidèlement ressuscitée sur une scène traversée d’un fil propre à l’excellent jeu funambule du Soldat immortalisé par Stravinski.
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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
Le 16/06/2012
Claude HELLEU
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« A marché… A beaucoup marché… », ce soldat saisi dans sa pauvre humanité par Ramuz et Stravinski en 1917, mais nous arrive, même « fatigué », toujours aussi jeune, naïf et émouvant sur la scène de l’Athénée, ou plutôt sur le fil qui la traverse.
Il y évolue muni de son violon, et comme chacun sait les violons ont une âme, funambule équilibré par un gros ballon, les musiciens au-dessous de lui scandant l’air de marche qui annonce son étape parmi nous cependant que le narrateur tel un conteur de foire nous raconte son histoire. Arrive le Diable et ses tentations, un livre magique contre le violon.
Nous sommes au cœur d’une action astucieusement mise en scène par Jean-Christophe Saïs. Tous les interprètes, acteurs et musiciens, participent à son étrangeté.
Non seulement exposés mais impliqués, les sept instrumentistes de l’Ensemble TM+ ne vont cesser d’évoluer sur la scène foraine du petit théâtre ambulant pour lequel ils ont été conçus. Leurs déplacements parfois rapides et toujours évocateurs joints à l’interprétation de la partition imprévisible et follement excitante animent les couleurs grimaçantes des tableaux fantaisistes.
Ce mouvement presque parfaitement coordonné des musiciens sur les accents constamment déplacés de la musique réalise au-delà des instructions de Stravinski son désir de rendre visibles (sur un côté de la scène dans ses instructions) des individualités aussi importantes pour lui que celles du Soldat, du Diable et du Narrateur.
La violoniste Noëmi Schindler, la contrebassiste Laurène Durantel, le clarinettiste Nicolas Fargeix, le bassoniste Yannick Mariller, le trompettiste André Feydi, le tromboniste Olivier Devaure, la percussionniste Claire Talibart personnifient ainsi ce que voulaient les auteurs de l’opéra miniature d’un style inédit qu’est l’Histoire du soldat.
Interprètes devenus acteurs actifs sous la direction de Laurent Cuniot qui n’est autre que… le Diable ! Un double rôle qu’il assume brillamment, tour à tour personnage démoniaque à l’élocution claire mais sans grande projection et très bon chef d’orchestre menant diaboliquement son monde à la baguette, jusque dans la folie d’un ballet aussi original qu’audacieux.
Debout face au public, sur un ton qui manque parfois de relief, Serge Tranvouez commente et reprend régulièrement la narration de l’errance abracadabrante du soldat enjôlé par Satan. Sardonique se poursuit leur duel, chansons parlées, mimes et voix justement précis sur un chemin d’embûches et d’à -coups à l’âpreté harmonique inquiétante.
Le soldat funambule Mathieu Genet allie adresse corporelle et parfaite diction, tant en l’air que redescendu sur terre affronter la réalité. Tango, valse, ragtime, pasodoble mêlées aux danses populaires héritées des campagnes russes soulignent de rythmes caustiques et suggestifs les avatars de sa fortune et de sa misère, de l’amour et de sa chute.
La vie suit son cours heurté jusqu’à la présentation du Soldat en peine à la Princesse malade qu’il réussit à guérir et à épouser. Danses lascives de leur rencontre. Enfin, voulues lascives.
Quel que soit le talent de la danseuse Raphaëlle Delaunay dans une longue et moulante robe rouge, ses déhanchements orientaux s’accordent mal au caractère de danses beaucoup trop typées pour qu’on en trahisse le caractère, d’autant que la chorégraphie se répète, seule longueur de ce spectacle. Entre elle et le soldat, le pas de deux rompt définitivement le climat si bien instauré auparavant.
À part cette réticence, la simplicité de ce conte populaire mais d’une construction musicale complexe ravit. L’étonnante interaction de ses interprètes en souligne l’innocence et le pessimisme étroitement liés. Où passe incidemment une leçon de vie, car « On n’a pas le droit de tout avoir : c’est défendu. Un bonheur est tout le bonheur ; deux, c’est comme s’ils n’existaient pas ». Et là , tout le bonheur a duré une heure.
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